Qu’est-ce qui nous rend malheureux ? Nous le sommes quand nous perdons ou n’obtenons pas ce que nous voulons ou quand nous obtenons ce que nous ne voulons pas. C’est pourquoi Epictète a orienté sa philosophie autour d’un principe essentiel et qui nous concerne encore aujourd’hui : savoir distinguer en toute lucidité ce qui dépend ou pas de nous.
Comprendre notre pouvoir
Exprimé de cette manière, le principe semble évident et même banal. Et cependant, c’est parce que nous l’oublions régulièrement que nous nous affligeons de mille choses.
En effet, la majeure partie de nos difficultés vient de que nous croyons pouvoir agir sur ce qui, en réalité, ne dépend pas de nous : des évènements, des phénomènes, des situations, des personnes. Nous nous illusionnons sur l’étendue de notre pouvoir en croyant pouvoir contrôler beaucoup de choses. Or, si celui-ci est grand, il n’est pas absolu ni illimité et lorsque nous voyons ce contrôle nous échapper, nous ressentons de la peur (« Que va-t-il se passer si…. ? »), de la tristesse (« Je voulais conserver A et je ne l’ai plus ») ou de la colère (« Je voulais A et je n’ai que B »). Bref, des émotions négatives qui s’entrecroisent.
Quand nous désirons ce qui ne peut pas être tout en refusant ce qui est, notre malheur apparait. Il s’agit de désirer ce qui relève de soi et d’accepter le reste. Savoir cela et en prendre conscience permet donc d’orienter différemment sa vie.
Voyons quelques exemples.
1/ Contrôle sur une (ou des) personne(s) :
« Je ne veux pas que tu me quittes » : ce qui n’est pas en mon pouvoir, c’est ce que décide cette personne (sauf à la séquestrer mais c’est un autre débat !). C’est qui m’appartient, c’est de discuter avec elle, de chercher une solution, d’agir pour qu’elle ne veuille pas prendre cette décision, etc
« Je t’interdis de dire ça ! » : cette personne a tout à fait le droit, tout comme moi, de dire ce quelle a envie de dire. Ce que je peux faire en revanche, c’est cesser de vouloir contrôler ce quelle exprime et envisager un dialogue en cherchant à comprendre ce qu’elle veut vraiment dire, pourquoi elle le dit ainsi, en quoi cela ne me convient pas, etc
« Je veux que tu me donnes une promotion » : je ne peux absolument pas décider à la place de l’autre ; il m’octroie ce que je demande … ou pas. Ce qui dépend de moi, c’est d’avoir des arguments solides, étayés, prouvés, ordonnés, etc pour orienter une décision dans un sens plutôt que dans un autre.
2/ Contrôle sur des évènements ou situations :
« Ces encombrements me rendent fous ! » : il est vrai que passer des heures dans des embouteillages est insupportable mais à quoi bon se mettre dans tous ses états puisque je ne peux absolument pas faire qu’il n’y ait plus de voitures et que la route soit fluide. La densité de la circulation, à cet instant, c’est ce qui est. Ce qui est en mon pouvoir, c’est entre autres de différer mon déplacement, de choisir un autre itinéraire ou un autre moyen de transport, de profiter de cet arrêt pour écouter la radio ou pour méditer, etc.
« J’ai attrapé la grippe » : ce qui ne dépend pas de moi (sauf si j’ai agi inconsidérément), c’est de tomber malade et en règle générale, je ne l’ai pas désiré. Ce qui dépend de moi, c’est d’accepter un fait (je suis malade et non en bonne santé), c’est de me soigner ou pas, c’est de choisir tel remède ou tel autre, de consulter ou pas un médecin, de modifier mon emploi du temps jusqu’à ce qu’arrive la guérison, etc.
Dans ces quelques exemples très simples (mais ô combien quotidiens !), nous voyons bien que la plupart de nos émotions négatives viennent d’un refus de reconnaitre une réalité et de vouloir autre chose que ce qui est.
L’importance de cette prise de conscience
En quoi la compréhension de ce point est-elle importante ? En ce quelle nous permet de cesser peu à peu de pester contre le monde entier pour chaque évènement de notre quotidien. Vous en doutez ? Voyez les plaintes et récriminations régulières contre la météo, contre les actions du Gouvernement, contre les atteintes aux biens ou aux personnes, contre le coût de la vie, contre la pollution, etc. Plus proche encore : contre notre entreprise, notre chef ou notre collègue, contre ce qu’ont dit ou fait notre conjoint et nos enfants, contre tel commerçant, tel produit, tel service, etc. La liste est passablement longue !
Comprendre ce point est important en ce qu’il nous redonne également notre sens des responsabilités : au lieu de se plaindre de ce que les choses ne soient pas ce que nous voudrions qu’elles soient, elle nous invite à nous mettre en mouvement, à développer notre créativité et à décider de faire ce que nous pouvons faire dès lors que cela est en notre pouvoir.
Cette distinction est essentielle aussi pour d’autres situations plus douloureuses. Ainsi, nous avons tous, à un moment de notre vie, vécue une blessure émotionnelle comme l’abandon, le rejet, l’humiliation, la trahison, l’injustice, etc. Si nous refusons de voir cette réalité, nous allons la ruminer régulièrement à nous en rendre malade, nous cherchons avec insistance tous les « pourquoi c’est arrivé » (en oubliant les « comment trouver une solution »), nous cultivons férocement une colère, une rancune, une tristesse, nous y revenons et en parlons constamment. Bref, nous agissons de manière à ouvrir à chaque fois une blessure qui ne cicatrise jamais et ne peut que saigner indéfiniment : à chaque fois, la blessure (et l’émotion associée) est réactualisée. Nous constatons alors, étonné et abattu : « Tiens, ça saigne toujours…. ».
Rien ne peut changer car, au lieu de constater une réalité et de chercher une solution, nous nous acharnons à refuser cette réalité-là et à considérer quelle n’est pas « normale ».
Accepter une réalité
Nous considérons qu’une réalité n’est pas normale quand nous décidons qu’elle ne correspond pas à ce qu’elle doit être. Car nous décidons qu’elle doit être ce que nous voulons quelle soit et pas autrement. En fait, nous refusons de ne pas pouvoir contrôler ce que nous estimons devoir être contrôlable mais qui nous échappe !
Dans cette configuration, rien ne peut changer car nous voulons exercer un pouvoir sur ce qui ne dépend de nous et l’échec de cette volonté inopérante crée nos émotions négatives. Alors que nous pourrions accepter ce qui est et réserver nos énergies à ce qui réellement dépend de nous. Pour Epictète, c’est là la condition de notre liberté et de notre bonheur.
Attention à ne pas mésinterpréter : accepter ne signifie pas approuver mais reconnaitre ce qui est tel que c’est. Accepter ce qui est ne signifie pas non plus se résigner et demeurer passif mais déployer son pouvoir d’action en fonction de ce qu’il est possible de faire et donc, en fonction de ce qui dépend de nous.
Vous connaissez la phrase : « Quand on veut, on peut ». Elle censée nous motiver et beaucoup de partisans de la pensée positive la répètent. Cependant, en valeur absolue, elle est fausse ! Certes, mieux vaut croire que nous pourrons réussir quelque chose avant de nous lancer dans un projet mais il ne faut pas oublier que, quelque soit l’étendue de notre pouvoir, celui-ci n’est pas total ; si nous croyons qu’il est illimité ou que tout est possible dès lors que nous avons la volonté, nous nous illusionnons complètement et nous nous exposons à être malheureux.
« Quand on n’obtient pas ce qu’on désire, on n’est pas heureux » nous avertit Epictète. D’où l’importance de la lucidité à laquelle il nous convie. D’où l’importance également du lâcher-prise qu’il recommande et qui commence par deux acceptations successives :
- accepter d’abord ce qui est (une situation, un évènement)
- accepter ensuite que nous ne contrôlons pas tout.
C’est donc d’abord accepter que quelque chose puisse être différent de ce à quoi nous nous attendions. Rien de plus simple à comprendre….et de plus difficile à mettre en œuvre !
Si vous trouvez qu’une fleur ne pousse pas assez vite, ce qui dépend de vous, c’est de l’arroser et de la nourrir. Ce qui ne dépend pas de vous, c’est sa vitesse de croissance et ce n’est certes pas en tirant sur sa tige que vous y parviendrez, …même si vous tirez très fort !
PS Pour en savoir plus et connaitre les clés essentielles, voir « Le lâcher-prise selon Epictète – Accepter ce qui est pour cheminer vers le bonheur » – Xavier CORNETTE de SAINT CYR, ed. Jouvence, 2017
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