Pour développer cette bienveillance si souvent réclamée et éviter que notre parcours ne soit chaotique, ne peut-on s’inspirer des enseignements de Confucius ? Ce que ce dernier a déclaré il y a 2 500 ans ne peut-il pas utilement être transposé à notre époque dans nos vies personnelles pour en faire un guide essentiel de vie ?
Ce philosophe chinois, du VIème siècle avant notre ère, a profondément marqué la civilisation chinoise en tant qu’école principalement philosophique, morale, sociale et politique (religieuse également). Son influence en Asie orientale peut être comparée à celle qu’eut Jésus en Occident ou bien Aristote ou Platon. Intéressons-nous à ses réflexions sur la bienveillance.
Donner l’exemple d’une conduite exemplaire
Considérant que la nature humaine n’est ni bonne ni mauvaise, il en ressort pour Confucius que toute personne peut choisir de vivre comme un sage ou bien de demeurer stupide. Considérant en outre qu’il nous faut vivre en bonne intelligence avec nos semblables afin qu’une vie en société soit possible, il importe de se conformer à certaines valeurs afin que les relations humaines soient le plus harmonieuses possibles.
A une époque où l’on évoque régulièrement l’intelligence relationnelle comme clef essentielle du développement d’une structure, il apparait que son enseignement reprend toute sa puissance. Il commence même, dans certains cas, à être privilégié pour former des managers au lieu de continuer à leur apprendre à centrer leur pensée sur des organigrammes.
Si Platon avait identifié quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, courage et justice), Confucius s’est intéressé à l’homme dans sa relation à l’autre et à son droit de demander – voire d’exiger – de ses dirigeants qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le problème principal auquel l’époque de Confucius est confrontée peut se résumer à : comment gouverner ? La solution réside dans l’éducation de l’homme, tant de celui qui gouverne que de celui qui est gouverné. Savoir se gouverner soi-même est indispensable sinon, comment pourrait-on gouverner les autres ?
L’étude est son maître mot, non pas pour simplement accumuler un savoir livresque mais aussi et surtout pour le mettre en pratique, pour l’exercer et pour donner aux autres le meilleur de soi. « N’est-ce pas une joie d’étudier, puis le moment venu, de mettre en pratique ce que l’on a appris ? » Confucius demande qu’à l’instar de celui qui taille et polit les pierres précieuses, on soit toujours à vouloir se perfectionner soi-même. Car, ce qui est à apprendre, c’est d’abord et surtout à être humain, à devenir un homme de bien, de valeur, de qualité. L’homme de bien, c’est celui qui a le sens de la justice et qui envisage les choses de ce point de vue
Si Confucius préconise ainsi « Exigez beaucoup des autres », c’est parce qu’il a demandé d’abord « Cherchez à progresser et exigez beaucoup de vous-même ». Ce qui ne l’empêche de prêcher la mansuétude : « Exigence envers soi-même, indulgence envers les autres » ajoute-il.
On ne peut donc vouloir l’excellence que si soi-même la pratiquons. Cette recherche de la perfection ne peut se fonder que sur l’honnêteté et grâce à l’exemple que l’on donne de sa propre conduite. « Un homme de bien est celui qui ne prêche pas ce qu’il faut faire tant qu’il n’a pas fait ce qu’il prône. » C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la congruence : un accord parfait entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. Le décalage entre le discours et les actes est toujours négatif : il sape le lien de confiance, il détruit le crédit que l’on accorde à une personne et il devient nécessairement contre-productif car empêchant une relation harmonieuse et constructive.
Beaucoup de ses injonctions vont dans ce sens. Bien se conduire est important car, plus on est haut placé et plus on montrera ce qu’il faut faire ou pas. « Pense droit et sois bienveillant », recommande-t-il tout en conseillant : « Si tu vois quelqu’un se conduisant bien, alors imite-le ». Si l’on est soi-même vertueux, alors ceux que l’on dirige le seront. Donner l’exemple d’une conduite la plus exemplaire qui soit revient comme un leitmotiv. Un bon gouvernement est celui fondé sur la vertu et gouverner devient la qualité d’harmoniser.
Le sens de l’humain au centre de soi
Mais qu’est-ce qu’être vertueux ? La vertu est comme une force mais qui ne vient pas de l’extérieur ; au contraire, elle est à découvrir en soi et à développer. Ce n’est pas chercher en dehors de moi et demander à mon environnement qu’il m’apporte ce dont je crois manquer. C’est à moi de faire effort de chercher en moi ce qui peut me rendre bon et de l’offrir ensuite au monde. On retrouve là le fameux aphorisme de Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».
Cette force que représente la vertu, Confucius l’appelle le ren. Il est difficile de traduire précisément ce mot, d’autant plus que Confucius lui-même ne l’a pas définit explicitement. On utilise généralement des concepts comme l’altruisme, la bonté, le sens de l’humain. On est très proche de l’amour dont Jésus a fait le pilier de son enseignement.
Le ren existe en nous mais encore faut-il en avoir conscience et la volonté de le développer pour se perfectionner soi-même et pour aider les autres à se perfectionner. Le ren a deux aspects. L’un négatif , le shu, traduit dans le célèbre aphorisme « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’il te fasse » et l’autre positif, le zhong, qui se traduit ainsi « Fais aux autres ce que tu veux qu’on te fasse ».
Ce qui définit la qualité d’une action ne réside donc pas dans l’obéissance à une loi, un dogme ou un commandement quelconque ; ce n’est donc pas à l’extérieur de soi. Au contraire, ce qui qualifie un acte, c’est ce qui se trouve dans son propre cœur. C’est bien la valeur intentionnelle qui en est le guide. Dit autrement, ce n’est pas la soumission à une forme qui importe mais l’expression du fond, c’est-à-dire un comportement éthique dirigé de soi vers l’autre. Comme l’exprimait Empédocle, « La barbe ne fait pas le philosophe » !
Si Confucius insiste sur l’étude, c’est parce qu’il y a une chose essentielle à apprendre : le sens de l’humain. C’est pour cela qu’il dit que « Pratiquer le ren, c’est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu’on veut s’établir soi-même, et souhaiter leur accomplissement autant qu’on souhaite le sien propre. »
La règle d’or
Lorsque Confucius énonce les maximes du shu et du zhong , il énonce en fait ce que l’on appelle la « Règle d’or ». C’est une règle morale de comportement qui permet de dresser une frontière entre l’expression de sa liberté et le respect des désirs et besoins autrui. C’est en fait une éthique de réciprocité.
Cette règle est si essentielle pour que règne l’harmonie des relations entre les humains qu’elle se retrouve formulée dans la quasi-totalité des religions, philosophies, civilisations ou cultures du monde. A titre d’exemples, on la retrouve dans le Jaïnisme (« L’homme devrait (…) traiter toutes les créatures de ce monde comme il aimerait être traité lui-même »), dans le bouddhisme (« Ne blesse pas les autres d’une manière que tu trouverais toi-même blessante. »), dans le Taoïsme (« Le sage (…)est bon avec le bon ; il est également bon avec le méchant, car la vertu est bonne. ») dans l’Hindouisme :(« Traite les autres comme tu voudrais toi-même être traité » ; « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent. »), dans le Judaïsme («Ce qui t’est haïssable, ne le fais pas à ton prochain ») , dans le Christianisme (« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux»), dans l’ Islam (« Aucun d’entre vous n’est véritable croyant tant qu’il n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. »).
Il apparait que, quelque soit la religion ou la culture qui l’énonce, la formulation est quasiment identique et bien souvent est indépendante de tout culte, de toute croyance ou de toute divinité de manière à en faire une universalité de conduite applicable à toute l’Humanité. Il faut entendre « Autrui » comme désignant tous les autres, au singulier et au pluriel, proche et lointain, connu et étranger.
Si cette règle est énoncée sous une forme passive et négative, (« Ne fais pas…. »), rien n’empêche de la formuler activement et positivement. C’est que fait Confucius avec le zhong.
Et alors, si on quitte l’individuel pour s’intéresser au collectif et que de passive et négative, on adopte une formulation active et positive, on obtient: « Fais ce qui rendrait le monde meilleur si tout le monde agissait en ce sens »
Confucius s’est beaucoup appuyé sur sa confiance en la nature humaine. Des esprits chagrins pourraient lui reprocher un idéalisme naïf. Ce serait oublier qu’en évoquant la notion du ren, il s’est attaché à décrire une relation bienveillante entre soi et les personnes qui nous sont proches.
Si nous prenons l’image du caillou jeté dans un lac, nous songeons à ces cercles concentriques qui vont se former et peu à peu s’étendre jusqu’à atteindre des rives lointaines. De la même manière, cette relation bienveillante avec ses proches va également, sous cette forme de cercles concentriques, s’étendre aux autres et atteindre peu à peu les autres sphères de l’humanité.
Cette qualité de bienveillance, érigée en principe moral, venant du cœur et vécue en sincérité peut alors faire de nous l’exemple à imiter et participer à sa diffusion la plus large possible.
N’est-ce pas ce dont l’Humanité a tant besoin ?
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