On nous propose régulièrement d’aller au-delà de nos limites. On nous vante régulièrement le bonheur merveilleux d’un monde idéal. On nous assure que tout peut devenir parfait si nous le désirons. Pour nos affaires, notre bien-être, notre épanouissement, nos amours… Super ! Sauf que….
Sauf que, dans nombre de situations, cet idéal de perfection ne peut-être obtenu : ce qui est proposé ou vanté est vague, flou, abstrait, indéfini, indéterminé, voire irréaliste. On croit pouvoir attraper la lune en tendant juste la main. Mais s’est-on d’abord posé la question : la lune peut-elle être saisie ?
Le flou de la perfection
Souvenons-nous du film « Certains l’aiment chaud » et de la dernière et savoureuse réplique adressée à Jack Lemmon par le flegmatique millionnaire éperdument amoureux : « Well…. Nobody’s perfect ! » Elle illustrait avec humour ce décalage entre ce que l’on supposait (ou interprétait) et une réalité passablement différente.
En parallèle, Antinoüs, connu comme amant de l’empereur Hadrien, est aussi connu comme une sorte de personnification de la beauté idéale. Il n’en demeure pas moins que c’est purement subjectif puisque….personne n’est parfait !
« La perfection n’est pas de ce monde » dit-on. Mais alors ?
Qu’est-ce donc que cette perfection que nous recherchons et qui … n’existe pas ? Ce serait, selon le dictionnaire Larousse, ce « qui n’est pas susceptible d’amélioration ». Voilà un concept qui suscite de plus amples interrogations : comment le savoir ? Et par rapport à quoi ?
En d’autres termes : quel est l’élément ou l’étalon à partir duquel on peut mesurer le point ultime d’aboutissement ? Qu’est ce permet de dire à un moment donné qu’aune autre amélioration ne peut être apportée ? Est-ce une appréciation objective ou cela relève-t-il de la subjectivité de chacun ?
Nous ne sommes guère plus avancé avec la belle phrase d’Antoine de Saint Exupéry: « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. ». Comment trouver cet équilibre précieux ?
Ce qui est « parfait », c’est aussi « ce qui réunit toutes les qualités, qui est sans défaut ». Cette autre définition soulève les mêmes questions. Enfin, le perfectionnisme est décrit comme une « recherche excessive de la perfection en toute chose ». –
Nous avons donc deux éléments : d’une part, ce qui n’a plus à être amélioré car le stade ultime a été atteint et, cela a été souligné, quel peut donc être le critère permettant de le savoir ? Et d’autre part, il y a dans cette recherche quelque chose d’excessif. Là aussi, le flou perdure : comment déterminer ce qui est excessif ou pas ?
Le domaine de l’abstraction
Le problème majeur de la perfection, c’est d’être considéré comme un idéal. Et le problème majeur de l’idéal, c’est d’être abstrait.
Que se passe-t-il quand nous évoquons le conjoint idéal, le travail idéal, l’homme politique idéal ou la maison idéale ? A chaque fois, nous rêvons de quelque chose de mieux, de plus, voire de « plus que plus ». Très bien mais si nous devons en faire une description concrète et en énumérer les éléments objectifs, ça devient autrement plus délicat ! C’est ce qui explique que certaines personnes passent leur vie à courir derrière une chimère sans jamais l’atteindre.
C’est vouloir essayer d’atteindre l’horizon. Même en courant de plus en plus vite, il recule toujours autant ! De quoi finir épuisé et surtout, désappointé.
Vouloir la perfection se ramène donc à rechercher un être ou un objet idéal réunissant toutes les qualités, à vouloir atteindre en tout domaine quelque chose sans défaut aucun. Chaque détail ne peut-il pas en lui-même être encore amélioré ? Quand s’arrêter et cela est-il même possible ? On risque d’élargir le fossé entre ce qui est demandé et ce qui est obtenu et d’aller finalement à l’encontre de l’objectif initial.
On se heurte donc toujours à cette volonté du zéro défaut qui est en soi une abstraction. Si ce but ultime ne peut être défini et précisé, comment peut-il alors être atteint ? Et est-ce possible ?
L’arbuste qui cache la forêt
La difficulté est de satisfaire un besoin : poursuivre et atteindre des standards de (très) haute qualité. Mais ces standards sont si déraisonnablement élevés que leur atteinte n’est pas possible. Cette structure profonde de la pensée génère des comportements et émotions spécifiques : la poursuite inlassable de buts irréalisables et un jugement en termes de réussite (voire de rendement). Cela devient obsessionnel et s’accompagne alors de critiques de soi et/ou des autres tant que l’idéal n’est pas atteint.
A vouloir aller beaucoup plus loin que le désir naturel de bien faire, on en vient à pourchasser les plus petits défauts et à donner une dimension disproportionnée à chaque petit détail.
Un exemple fameux : Maria Callas, surnommée « la voix du siècle », étudiait chaque détail, jusqu’au choix minutieux de ses parures et bijoux, ainsi que des autres rôles de chaque œuvre qu’elle interprétait. Elle voulait « atteindre l’absolue perfection. ». Elle effectua à 49 ans un retour sur scène qui fut un triomphe mais, pour la Diva, un désastre total car sa voix n’était plus ce qu’elle voulait qu’elle soit. En 1976, estimant avoir perdu son don, elle met fin à sa carrière et celle qui fut tant adulée finira sa vie dans une triste solitude.
Nous en retrouvons d’autres illustrations avec des jeunes filles, pourtant ravissantes, devenant anorexiques et mettant leur vie en danger pour ressembler à l’image idéale qu’elles se font du corps d’une femme parfaite. Ou avec ces hommes, adeptes outranciers des salles de musculation jusqu’à en paraître difforme. Et avec tous celles et ceux en quête désespérée du conjoint parfait et rejetant inlassablement tout prétendant(e). L’arbuste cache la forêt !
Voici une vision peu épanouissante d’une vie de perfectionniste ! Il est vrai que la joie n’est pas l’émotion prédominante. C’est bien davantage l’insatisfaction qui se donne rendez vous.
Remettre les pieds sur terre
Cette traque du détail rend le perfectionniste inapte à mettre un terme définitif à ce qu’il entreprend et à ressentir du plaisir lorsque les contingences matérielles lui commandent de passer à autre chose. Il devient prisonnier des attentes et des exigences des autres et/ou de lui-même sans arriver à définir où la route s’arrête. Inconsciemment, il passe du pouvoir (« Si je fais de mon mieux, je peux éviter les erreurs ») au devoir (« Je ne dois pas faire d’erreur ») puis à une forme d’absolutisme (« Aucune erreur n’est acceptable ! »).
Le psychothérapeute Paul Watzlawic avait mis en garde : « En nous efforçant d’atteindre l’inaccessible, nous rendons impossible ce qui serait réalisable. ».
De son côté, Alexandro Jodorowsky , dans son livre « Mû, le maître et les magiciennes » écrit : « Pour les humains, la perfection est inaccessible, l’excellence oui. Fais ton travail du mieux que tu peux en acceptant les erreurs inévitables ».
Il est donc essentiel de remettre les pieds sur terre en prenant le temps de s’interroger concrètement pour y apporter les réponses les plus précises possibles. On gagne en efficacité en le faisant par écrit ou en l’exprimant verbalement à un interlocuteur (nos discours internes s’accommodent si facilement d’abstractions et de contradictions !). Ces quelques questions valent pour la réalisation d’une activité ou l’accomplissement d’une tâche mais se déclinent à l’identique pour la rencontre d’une personne.
Quand vous voulez quelque chose :
- Définissez concrètement ce quelque chose, exactement comme vous décririez un objet que vous auriez sous les yeux.
- Quelle part dépend de vous et quelle part n’en dépend pas et sur laquelle vous n’avez aucune prise ?
- Est-ce réellement réalisable ? Par exemple : gagner Roland Garros alors que je n’ai jamais joué au tennis, c’et réalisable ..
Avant de démarrer quelque chose, placez sur une échelle de 1 à 10 le chiffre à partir duquel vous estimez que c’est bien et que vous en êtes heureux. Bien sûr, ne visez pas les chiffres 11 ou 12 ! Si vous visez le 10, posez-vous d’abord les questions ci-dessus.
Quand vous avez accompli quelque chose et qu’on vous en félicite mais que vous n’êtes pas satisfait en estimant qu’elle n’est pas « parfaitement » réussie, changez alors de réflexe : au lieu de dire « c’est nul ! », demandez vous d’abord : « qu’est ce qui satisfaisant ? ». Là concrètement, qu’est-ce qu’il y a de bien ? Qu’avez-vous réussi ? Si on vous félicite, c’est qu’il y a du positif !
Et si vous voulez davantage, qu’y gagnerez-vous ? Demandez-vous si c’est utile, nécessaire, important, essentiel, indispensable, vital ? En donnant à chaque fois une réponse argumentée.
Prenez le temps du recul : avant de critiquer ou d’exécuter, quelle est la « vraie réalité » du pire que vous redoutez ou du meilleur que vous envisagez ?
Finalement, il se pourrait bien qu’au lieu de vouloir la perfection, il soit préférable de savoir accepter et gérer les imperfections.
Ou mieux encore : apprécier ce qui est et ce qu’on a et ce, en changeant un tout petit peu notre regard.
Début de la sagesse heureuse ?
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