Nous déclarons souvent que nos ancêtres croyaient la Terre plate et nous nous en gaussons. Nous supposons même parfois que Galilée en découvrit la rotondité et risqua la mort sur le bûcher pour cette raison. Eh bien non ! C’est faux. Nos ancêtres n’étaient pas des ignares !
Dès l’Antiquité, on savait que la Terre est ronde. Qu’est-ce qui a donc bien pu faire naitre cette idée de platitude ? Qui la créée, propagée et qui l’a crue ?
Petit aperçu sur un mythe qui a la peau dure….
Pourquoi la platitude ?
Rendons grâce d’abord aux philosophes d’avoir tant contribué à comprendre l’architecture cosmique. Sans eux, nous n’aurions guère avancé….
Pour l‘Occident, l’histoire commence avec Thalès de Milet (né vers -625 et mort vers -546 ), l’un des « Sept sages » de la Grèce antique. Pour lui, l’eau est l’origine de toute chose. Il en fait le principe premier expliquant l’univers d’où procèdent les autres éléments que sont l’air, le feu et la terre. Résultat, l’air est de l’eau raréfiée, la terre est de l’eau condensée et en dernière analyse tout se résout en eau, l’univers étant une sorte de grande bulle d’air. « In aqua veritas » aurai-il pu dire s’il avait parlé latin !
La Terre flotte et sa surface plane l’explique (les tremblements de terre sont d’ailleurs dus aux mouvements de l’eau). Cette idée n’est pas toute neuve. On la retrouve ainsi dans les chants épiques d’Homère (800 av. J.-C.) et elle s’origine probablement dans les pensées phénicienne et égyptienne, voire babylonienne et, en remontant le temps de quelques milliers d’années, on en arrive à la représentation sumérienne qui l’évoque.
Simplifiée ainsi, la thèse thalésienne fait sourire. Et pourtant, dans ce moment de la pensée grecque, elle est un progrès car en rupture complète avec les représentations mythiques alors en vigueur où la Terre (Gaia) se positionnait dans le bas de l’univers. De plus, Thalès crée la notion de sphère céleste dont on se sert toujours aujourd’hui et qui fera l’objet de débats pour déterminer qui en occupe le centre.
Les premiers philosophes grecs voulaient connaitre l’origine ou principe des choses. Cette notion de Terre plate flottante constituait donc une étape importante et révolutionnaire dans l’histoire des sciences. Elle est retenue par d’éminents penseurs de l’Antiquité et perdure longuement puisqu’on la retrouve chez le poète latin Ovide (43 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.).
Les objections apparaissent
Toutefois, même séduisante, elle pose problème. Surgit alors une fort intéressante question : l’eau elle-même, sur quoi donc repose-t-elle ?
Un disciple de Thalès, Anaximandre (vers 610 av. J.-C. – vers 546 av. J.-C.) considère que d’une part l’univers est infini et que d’autre part, située en son centre, la Terre s’apparente à un cylindre, aplati à ses extrémités ; il n’y a dès lors aucune raison pour qu’elle aille de tel côté ou de tel autre. Elle flotte en équilibre, sans rien qui la soutienne.
On dira que ce n’est pas encore parfait mais le cylindre marque une évolution : la notion de courbure apparaît. De là à en faire une sphère, il y a un pas qu’Anaximandre ne veut franchir.
Un autre disciple, Anaximène (vers 585 – 525 av. J.-C.) soutient quant à lui que la Terre est effectivement un disque plat mais baignant dans un océan qui est fini. La finitude apparait donc et le tout se maintient en réalité dans l’espace sur un coussin d’air. Le Soleil et la Lune aussi sont vus comme des disques plats en sustentation dans l’air et tournant autour de la Terre.
En effet, Anaximène considère que l’origine de toute chose n’est pas l’eau mais l’air : complètement dilaté, il se transforme en feu et inversement, un peu comprimé, il devient du vent et très comprimé, il donne de l’eau.
Arrive alors Anaxagore (-500 av. J.-C ; -428 av. J.-C). Etudiant attentivement ces théories, il conclue différemment : les astres ne sont pas des disques plats mais des corps solides ( comme la Terre).
Pas de disques plats, certes, mais la sphéricité de la Terre ? Qui donc va la découvrir ?
Quand ça devient rond
Abandonnons Thalès et ses disciples et regardons du côté des pythagoriciens.
Pythagore (vers 560 av. J.-C. vers 480 av. J.-C.) est considéré comme le premier en ayant l’idée. Mais s’il la évoquée, il n’aurait rien démontré. Ensuite, on lui attribue souvent des apports ou découvertes réalisés ultérieurement par les élèves de son école. La paternité parait probable tout en demeurant douteuse.
C’est alors qu’apparait un autre philosophe puissant, Parménide (fin du VIe siècle av. J.-C. – milieu du Ve siècle av. J.-C). Il travaille dans l’abstraction de manière remarquable et en tire des déductions qui ne le sont pas moins, à telle enseigne qu’il finit par déclarer d’abord que la Terre est ronde ou sphérique et ensuite, qu’elle est située au centre de l’univers.
Il semblerait que déjà, les prêtres égyptiens concevaient la Terre comme sphérique et que l’idée de Parménide ne soit intervenue que quelques siècles plus tard. Mais cela demeure conditionnel ; en l’absence aujourd’hui d’autres précisions et certitudes, c’est donc à Parménide qu’on attribue la paternité de cette découverte.
Un autre pythagoricien, Philolaos de Crotone, va quant à lui être le premier philosophe à évoquer l’idée d’un univers non géocentrique sans pour autant aller jusqu’à affirmer un réel héliocentrisme. Ca balance un peu entre les deux. Toutefois, il défend une thèse novatrice : c’est en tournant sur elle-même que la Terre produit tantôt le jour, tantôt la nuit. Que la Terre soit ronde devient une vérité.
Alors, Pythagore, Parménide ou Philolaos au tableau d’honneur ? Difficile de trancher. Les deux premiers sont davantage connus mais ce n’est pas là un argument ! Ce qui est sûr, c’est que la Terre devient ronde au Vème siècle avant notre ère.
Au IVe siècle, Platon l’admet, surtout pour des raisons de symétrie : la Terre étant au centre de l’univers, le fait qu’elle soit ronde apparait logique et surtout bien plus rationnel que toute autre figure.
Débarque enfin Aristote (384–322 av. J.-C.) : il pose la sphéricité de la Terre comme principe et démontre tout cela avec des arguments scientifiques, basés notamment sur la physique. L’univers est encore conçu comme fini et le géocentrisme demeure mais la Terre est bien ronde. (C’est vers 280 av. J.-C. que l’héliocentrisme est posé par Aristarque de Samos, soit près de dix-sept siècles avant Copernic).
C’est rond et ça le reste
Cette rotondité ou sphéricité ne sera plus remise en cause et il y a unanimité sur cette question durant tout le Moyen Âge occidental. Les dernières recherches historiques montrent que l’idée médiévale d’une Terre plate est un mythe. La plupart des savants, c’est-à-dire des théologiens du Moyen-Age, admet une Terre ronde. En fait, et hormis l’apologiste chrétien Lactance (vers 250 ; vers 325 ap. JC), pratiquement personne ne remet cela en cause. Il suffit par exemple de relire Saint Augustin ou, quelques siècles plus tard, Saint Thomas d’Aquin.
En revanche, il existe bien une légende moderne affirmant ce mythe. Elle serait apparue au XIXème siècle, reprise au début du XXème siècle et résulterait surtout de cette curieuse tendance à discréditer le Moyen-Age pour en donner une représentation obscure, ténébreuse, mortifère et caricaturale. Toujours est-il que cette légende, bien que sans preuve tangible pour l’étayer, s’est étrangement inscrite dans nos représentations et parfois nos manuels scolaires. Certains croient même qu’on risquait le bûcher en murmurant que la Terre n’était pas plate alors que le problème brulant, c’était l’héliocentrisme ! Encore fallait-il avoir les connaissances nécessaires.
Précisions en effet qu’au Moyen-Age, seuls les religieux, les scientifiques et les nobles savent lire. Le peuple ignore donc globalement ces thèses et se base sur ce qu’on lui révèle à partir des écritures saintes mentionnant une Terre plate et le géocentrisme. Que certains aient prôné et imposé une lecture littérale de la Bible, cela est indéniable mais cela ne doit pas pour autant balayer l’ensemble des connaissances acquises ni laisser accroire que chacun pensait ainsi.
Un peu plus tard, le procès de Galilée ne concerne pas la rotondité de la Terre. Ce point là est acquis. Les attaques concernent son positionnement. En effet, ses adversaires, partisans de la théorie géocentrique, ne peuvent pas se permettre d’avoir tort et prennent appui sur le prestige d’Aristote et ses thèses qui déterminent la manière de concevoir le cosmos et son architecture. Avant lui, Copernic avait ouvert une brèche en remettant en question les trouvailles (et erreurs) d’Aristote et de Ptolémée mais l’enjeu est tel que ce n’est que vers 1750 que les savants et l’Eglise abandonneront enfin le géocentrisme.
Ce qui pose difficulté, ce n’est donc nullement la forme de la Terre mais l’hypothèse héliocentrique et l’idée d’une mobilité de la Terre. Les propos d’Aristote sernt longuement considérés comme paroles d’Évangile ! La discorde, assez virulente, est religieuse mais également politique et scientifique. Assurément, les philosophes grecs de l’Antiquité paraissaient faire preuve de davantage de fair-play quand l’un d’eux avançait une nouvelle théorie !
Actuellement, on ne se demande plus si la Terre est plate ou ronde. On a décidé que c’est une sphère un peu aplatie aux pôles et dotée d’un embonpoint certain à l’équateur.
Curieusement, il existe aujourd’hui de nouveaux foyers de remise en question et la platitude est invoquée par certains qui font une lecture à courte vue de certains textes considérés comme sacrés. De là à considérer que ça ne tourne pas rond, il n’y aurait qu’un pas !
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