Le stoïcisme impérial, dit aussi nouveau stoïcisme, a impacté la pensée des Ier et IIème siècle de notre ère. Il comprend trois grandes figures : Sénèque, Épictète et Marc Aurèle.
L’influence d’Epictète a été très grande et perdure encore aujourd’hui. Parmi les concepts qui émaillent sa pensée, certains plus fondamentaux se dégagent. Nous retiendrons ici essentiellement ceux qui ont trait à la morale.
En résumé, ils pourraient apparaitre ainsi :
- Vis conformément à la nature
- Vis conformément à la raison
- Vis d’une façon cohérente et libre.
Voyons-les de manière plus détaillée, sachant qu’ils se font tous écho :
Distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous
C’est la distinction fondamentale et fondatrice de toute sa pensée et dont la compréhension permet de régler une immense partie des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
Elle s’illustre par la proairésis, c’est-à-dire l’« assentiment », le « choix réfléchi ». Le sage doit s’exercer à ne vouloir que ce qui dépend de lui et à subir sans renâcler ce qui ne dépend pas de lui.
De là découlent tous nos choix et la qualité de notre existence. Il s’agit de faire ce qui est en notre pouvoir et d’accepter (ou parfois subir) sans colère ce qui n’en dépend pas. C’est le sens de la fameuse devise « Sustine et abstine » (« supporte et abstiens-toi ») qui résume de manière synthétique l’esprit de sa philosophie et deviendra la maxime du stoïcisme.
Le bonheur ne peut se trouver que dans la vertu
La vertu consiste à connaître la nature et à vivre en harmonie avec elle. Elle est la relation juste aux choses, à telle enseigne que bien et vertu sont indissociables. La passion est une déraison car elle provient d’un désaccord avec la nature ; elle est une erreur de jugement
Epictète ne demande pas de l’absolutisme car on entrerait soit dans la contrainte (opposée au bonheur) soit dans un idéalisme abstrait (indéfini et inatteignable). Il vise la dimension pratique. En conséquence, si l’on ne peut atteindre la pleine sagesse, il convient de s’en inspirer par des conduites dites convenables, c’est-à-dire le plus proche possible de ce qui est souhaité, le plus possible en harmonie avec le monde, la Nature.
Vivre selon la nature
Vivre conformément à la nature, c’est diriger notre vie conformément à la raison. Cela n’a rien à voir avec la satisfaction de nos tendances naturelles comme l’envie, la convoitise, l’ambition, la cupidité, la vanité ou l’égoïsme.
La nature qui est visée ne concerne pas seulement le monde végétal et animal. Elle a une visée bien plus large et englobe la réalité, le monde, l’univers.
Le monde est comme est un grand organisme, une sorte de vivant éternel qui s’assimile à l’idée que l’on peut se faire de Dieu, lui-même en étant l’ordonnateur. Il existe donc une notion de destin à l’encontre duquel volonté et intelligence humaine sont impuissantes.
Il en résulte qu’il n’y a pas de totale liberté d’action de l’homme ce qui n’empêche nullement – loin de là ! – une liberté de pensée.
Cultiver sa liberté intérieure
Est visée la liberté de pensée. « Cherchons nos biens en nous-mêmes autrement, nous ne les trouverons pas » dit Epictète. Le monde est donc un organisme où tout se tient et la vraie liberté consiste à agir selon l’ordre du monde. Il ne dépend pas de moi. En revanche, ce qui dépend de moi, c’est mon attitude devant cet ordre du monde et le jugement que j’y porte.
Le sage n’est pas dans une acceptation passive et conformiste de l’ordre de la nature ; il y a chez lui un vouloir actif de cet ordre. Il est donc libre quand il est maître de sa volonté en décidant absolument de toutes ses pensées, opinions et représentations. Il veut ce qui est comme cela est.
Au contraire, le fou veut ce qui ne dépend pas de lui ; il est fou quand il refuse cet ordre et quand il se révolte contre lui en voulant changer ce qu’il n’est pas en son pouvoir de changer.
Ce qui est en notre pouvoir, c’est de modifier nos points de vue. Toutes nos activités sont fondées sur nos jugements. Or, ce sont eux qui nous font souffrir en nous trompant sur la définition de ce qui est bien. « Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses. ». Je peux ainsi trouver que la vie est facile. Ou merveilleuse. Ou abominable. Ce ne sont chaque fois que des jugements. La vie Est, un point c’est tout. Mais nous prenons nos jugements pour une réalité.
Notre point de vue sur les événements
Epictète distingue trois modes de notre fonctionnement intellectuel : la représentation, le jugement et l’assentiment. En fonction de la représentation que je me fais des choses extérieures, je détermine l’effet de ces choses sur moi. « Nul ne peut te léser, si tu ne le veux point, car tu ne seras lésé que si tu juges que l’on te lèse ».
De nouveau, l’assentiment consiste à avoir le sentiment qu’il en est réellement ainsi, que la chose est bien là. Soit je donne mon assentiment : je juge donc que la chose existe. Soit je le refuse : je juge donc que la chose n’est pas telle que je me la représente. Soit enfin je le suspends : je juge donc que l’existence de la chose est incertaine ; je ne peux ainsi trancher ni dans un sens ni dans l’autre.
Ce qu’il s’agit alors de modifier, c’est notre point de vue sur les événements pour ne pas se laisser envahir par des émotions négatives (colère, tristesse, déception, désespoir,…). Cela signifie qu’il faut faire effort sur la pensée pour changer ses opinions plutôt que de vouloir modifier l’ordre du monde. La vraie liberté, c’est s’affranchir des opinions fausses.
Faire de l’absence une présence
Deux autres notions importantes émaillent la pensée d’Epictète : l’ataraxie et l’apatheia.
L’ataraxie signifie « absence de troubles ». Notion largement partagée avec d’autres écoles, elle est un des principes du bonheur et consiste à parvenir à la paix de l’âme et donc au bonheur. Celui-ci se définit négativement comme l’absence de troubles. C’est en fait un état mental où l’on n’est pas atteint par ce qui se passe autour de nous. On peut l’atteindre en en ne voulant jamais rien pour soi-même et en se pliant à l’ordre de la nature (On peut d’ailleurs ici noter le parallèle avec la pensée bouddhiste).
C’est la conquête d’une autonomie souveraine, ce qu’Epictète exprime avec sa fameuse maxime : « Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux ». L’ataraxie est complémentaire de l’apathie.
Qu’est-ce que l’apatheia ? C’est littéralement « l’absence de passions ». Non pas être dépourvu de toute émotion mais bien plutôt en être libre. A ce titre, elle est l’auxiliaire de l’ataraxie grâce à laquelle on obtient la tranquillité de l’âme.
Seule la raison droite permet de se libérer des quatre passions fondamentales : le plaisir, l’envie, la tristesse et la crainte. On peut d’ailleurs établir un parallèle avec les 4 grandes émotions de l’homme : joie, colère, tristesse et peur. « Chasse tes désirs, tes craintes, et il n’y aura plus de tyran pour toi ». (Entretiens, Livre III, XVI). On pourrait même aller jusqu’à évoquer Baudelaire : « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille ».
L’apatheia stoïcienne n’a donc rien à voir avec l’apathie au sens moderne du terme : au lieu d’être une absence d’action, elle correspond à une libération des passions considérées comme des maladies de l’âme. Quand elles n’ont plus de prise, on évite alors d’en être l’esclave.
C’est un chemin vers la libération, voire vers la liberté d’être. C’est ainsi que l’on parvient à la maitrise de soi, à un état de sérénité de l’âme, ce en quoi le sage stoïcien est un homme d’action. C’est ce qu’exprimera plus tard Marc Aurèle: «Ne rien attendre, ne rien fuir, mais te contenter de l’action présente». On retourne ainsi à une tranquillité intérieure.
Il est fort probable que les stoïciens, et Epictète notamment, avaient compris que si la sagesse est un idéal accessible en théorie, elle demeure inaccessible concrètement. Pour autant, il ne s’agit pas de s’en détacher ou de la tenir comme une impossibilité mais bien plutôt de s’en approcher le plus que l’on peut.
A défaut du parfait, on recherche le meilleur.
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