Quelle relation entre « le soleil noir de la mélancolie » de Gérard de Nerval et « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » de Pierre Corneille ?
Quittant le domaine littéraire pour aborder celui de notre langage courant, quel rapport entre une douce-violence, un silence éloquent et un mort-vivant ?
Tous sont liés par une figure de style qui a tout son charme et sa puissance évocatrice lorsqu’elle est utilisée à propos et crée l’incompréhension quand on en fait un mésusage. Il s’agit de l’oxymore.
Un indicible charme
En rhétorique, l’oxymore se définit comme une association de deux mots de sens opposé, voire contraire (ou dont le sens parait contradictoire) afin de donner plus de force à une idée du fait de l’étonnement que provoque cette association inattendue. C’est comme cela que l’on attire l’attention du lecteur ou de l’auditeur. Les deux termes opposés sont réunis grammaticalement et sémantiquement mais conservent leur logique propre, quoiqu‘étonnante.
On peut dire que l’oxymore est né en Grèce, avec le théâtre antique et tragique. Déjà, Sophocle qualifiait Antigone de « saintement criminelle » ! Il fit des émules, comme Horace notamment (« folle sagesse » ou « suave péril »).
Pour le construire, on met habituellement dans un même « couple » un nom et un adjectif ou, pour faire plus « chic », une combinaison substantif / épithète (« une douce violence » ou « une sombre lumière ») ou bien un nom et un complément du nom (« la voix du silence ») ou encore un verbe et un adverbe (« Hâte-toi lentement »).
La description d’une situation ou d’une personne avec un oxymore crée une surprise puisque la réalité ainsi décrite n’est pas concevable. C’est pourquoi la poésie s’en est souvent emparée : elle oblige à un effort pour s’en faire une représentation et sa portée évocatrice ou même visuelle en est augmentée. Cela provoque un effet stylistique surprenant. La « ténébreuse lumière », « l’horrible beauté » ou « l’impitoyable tendresse » en sont des illustrations, surtout quand l’adjectif précède le nom.
Baudelaire s’en est intelligemment servi (« La clarté sombre des réverbères », « sa chair spirituelle ») de même qu’Arthur Rimbaud qui ne fut pas en reste (« Splendeurs invisibles », « luxe dégoûtant», « violent paradis »). Songeons également aux peintres qui invitent l’oxymore dans la toile avec le clair-obscur.
Une modernité parfois surprenante
Notre manière de parler y a fréquemment recours. Il est souvent utilisé dans un but de raillerie ou parfois pour dénoncer ou mettre en lumière quelque chose d’absurde. Il en est ainsi de la « vérité mensongère », d’un « illustre inconnu » ou d’un « honnête voyou ».
La raillerie ou l’ironie ne cherche pas à tromper en accouplant des mots de sens opposé mais à souligner l’absurdité ou la fausseté de ce qui est décrit. Dans cette optique, elle peut servir à critiquer. Par exemple, en parlant d’une « guerre sainte », la sainteté évoquant des idées de douceur, de bienveillance et de paix et opposées donc au caractère belliqueux et violent d’une guerre. Elle peut aussi servir à ridiculiser. Il en serait ainsi si on parlait d’une « femen habillée », les apparitions de ces femmes étant généralement assez dénudées !
On pourrait s’interroger sur le titre d’une opérette du compositeur autrichien Franz Lehár intitulée « La Veuve joyeuse ». On n’est pas loin de l’oxymore, le veuvage ne semblant pas associé de prime abord à la gaité.
Aujourd’hui, certaines expressions sont devenues quasiment banales quoique l‘on puisse y déceler un oxymore. Nous aimons certes – et abondamment – les formes tautologiques (comme le « tri sélectif ») mais l’oxymore tient bien son rang. Par exemple, la notion « égalité des chances ». Si l’on analyse chaque terme séparément, on ne peut que s’étonner qu’ils soient réunis en une même locution ; c’est comme si on plaçait sur une même ligne de départ une Ferrari et une 2CV. Mais l’usage a finit par nous faire croire qu’il y avait là un principe égalitaire… Et que dire du « développement durable », de la « guerre propre » voire des « frappes chirurgicales » ou de la « consommation solidaire ».
Dans mes années étudiantes, une amie avait composé un bel oxymore en se définissant comme une « anarcho-maoïste » ! Plus près de nous, n’use-t-on pas d’une formule oxymorique en qualifiant de « rebelles modérés » des individus que d’aucuns voient comme des terroristes ?
Enfin, quant l’oxymore débouche sur l’absurde, nous nous retrouvons face à l’incompréhensible. Un sommet avait déjà été atteint avec la « discrimination positive » mais la palme revient probablement à un Ministre de l’Economie qui, sans sourciller, osa nous parler avec un étrange sérieux de « croissance négative ». On peut dire que sans poésie aucune, fut réussit là un effet stylistique des plus surprenant sur lequel on n’a pas finit de s’interroger ! Quelle peut donc en être l’ésotérique signification ?
Publier une Réponse
Votre adresse email reste confidentielle.