La manipulation, tout le monde en parle. Notre époque, si encline à évoquer le bien-être, la paix sociale, l’amitié entre les peuples ou le développement de la conscience serait-elle aussi marquée par un plus grand nombre de personnes toxiques ? Ou y serions-nous devenus plus sensibles ?
Chaque époque, chaque civilisation et chaque groupe humain a eut son lot de manipulateurs. En revanche, nous voici aujourd’hui plus à même de les reconnaitre et de déjouer leurs tactiques
La demande indirecte
Vous connaissez le grand classique illustré par la demande indirecte : « Tu fais quelque chose demain soir ? » – « Euh…non, rien de spécial » – « Très bien, je viens te prendre à 20h pour…. » ou « Parfait! Tu viens diner chez nous».
Nous sommes nombreux à nous faire piéger ainsi ! Car en disant « oui » à l’autre, combien de fois nous disons « non » à notre besoin. Et aller à l’encontre de son propre besoin entraine une sacrée insatisfaction !
Il existe bien sur quelques parades :
– technique de la question en réponse à une question. « Pourquoi me demandes-tu si je fais quelque chose demain soir ? ».
– technique de la temporisation : « Je ne sais pas. Je dois regarder mon agenda. Je te rappelle plus tard »
– technique du pourquoi : « Oui, je vois que j’ai déjà un engagement demain. Pourquoi? ».
Dans la première technique, on ne répond qu’en sachant de quoi il s’agit. Peut-être est-on un peu méfiant ? Dans les deux autres, soit ce que l’on dit est vrai et on prend le temps de la réflexion : que vais-je répondre ? Soit on sait très bien que l’on n’a rien de prévu mais la crainte de froisser (ou la sagesse) nous incite à préparer une argumentation.
Mais, pense-t-on toujours à répondre autre chose que le piégeant – « Euh…non, rien de spécial » ?
Nous-mêmes, si nous ne voulons pas manipuler autrui « à l’insu de son plein gré », nous pouvons tout simplement présenter la demande avant de la formuler. Par exemple : « J’organise un diner chez moi demain avec Untel et Unetelle. Es-tu libre pour te joindre à nous ? «
De quoi s’agit-il ?
Il n’est pas question ici de développer les divers aspects de la manipulation. Juste donner quelques pistes pour savoir prendre du recul afin conserver sa lucidité.
L’objectif est d’éviter deux excès consistant soit à voir partout des manipulateurs et on tombe alors dans une méfiance dramatique pour les relations humaines, proche d’une certaine paranoïa. Le deuxième excès consiste à n’en voir jamais et on devient alors une « bonne poire » prête à se faire croquer à son détriment.
Mais avant d’aller plus loin, définissons. L’influence et la manipulation sont souvent confondues. Qu’est-ce qui les différencie ? Le discours d’influence est celui du leader : il enthousiasme, il fait rêver, il donne envie de faire et nous avons quelque chose à y gagner. Nous savons de quoi il s’agit et nous agissons non pas sous la contrainte ou la peur mais parce que nous obtiendrons un avantage, un bénéfice qui nous plait et nous convient.
Au contraire, le discours manipulateur est sournois et flou. Il vise à nous faire faire quelque chose que nous n’aurions pas accompli de nous-mêmes si nous avions su de quoi il s’agissait. Deuxième composante et non des moindres : ce quelque chose à faire sera à notre désavantage et au profit exclusif du manipulateur. C’est bien là le problème : nous perdons quelque chose. Par exemple ; on me donne 100 mais je me retrouve à devoir rendre 200 ou plus.
On peut perdre beaucoup : des biens matériels ou financiers bien sur mais aussi l’estime de soi ou celle de personnes que nous aimons, voire dans certains cas notre saine raison (c’est le cas par exemple de la double contrainte sur laquelle j’écrirai plus tard). Dans tous les cas, nous perdons quelque chose qui nous est important et nous ne le savions absolument pas au moment où la demande ou la proposition à été formulée.
Manipulateur, moi ?
Nous avons tous, un jour, manipulé quelqu’un, sans trop nous en rendre compte. En règle générale, et si nous avons une éthique satisfaisante, ce n’était pas trop grave ni trop engageant et ce n’est pas non plus notre comportement habituel.
Mais certains usent et abusent de ce procédé. Soit ils le font de manière inconsciente et cela révèle souvent une structure psychique (et éthique) passablement chancelante. Nous y trouvons par exemple ce que j’appelle « la victime professionnelle » : toujours à se plaindre, à ne pas savoir comment faire, régulièrement et même constamment en proie à la dureté des gens ou des évènements, elle suscite la pitié. Alors, pour l’aider, parce que nous avons un grand cœur, nous risquons de nous embarquer dans une aventure que nous aurions bien aimé ne pas connaitre si seulement nous avions su dès le départ de quoi il s’agissait et ce que cela allait nous demander en énergie, en temps, en argent, etc. Il faut donc être attentif au syndrome du Caliméro : Est-ce que je vois l’autre comme une perpétuelle victime ?
Dans mes formations, nombre de cadres sursautent quand j’évoque « la victime professionnelle ». Le terme les interloque puis, très souvent, ils avouent : « Mais j’en ai une dans mon équipe ! Comment faire ? ». En fonction du contexte et des enjeux, plusieurs pistes sont alors possibles pour rétablir une harmonie.
Et puis, il y a le manipulateur qui est conscient de ce qu’il fait et très au clair avec lui-même sur le gain qu’il espère obtenir à votre détriment (et que vous perdiez quelque chose ne le dérange guère). Il veut par exemple asseoir son pouvoir sur vous. Ou bien vous déposséder de quelques biens matériels ou financiers. Ou (cela est plus masculin en général mais il y a toujours des exceptions !), il souhaite obtenir un avantage sensuel ou charnel d’une personne. Les grands séducteurs, admirés comme tels, sont souvent des grands manipulateurs mais pas toujours. Certains sont réellement séduisants ! Quant au domaine de la politique, que ne promet-on pas pour grappiller quelques voix !
Le manipulateur peut également vous voir vous engager dans un projet ou bénéficier de vos relations ou de vos compétences. Les possibilités sont innombrables. Mais en tout état de cause, une relation de manipulation est une relation gagnant (le manipulateur) / perdant (vous).
Comment s’y prend un manipulateur quand on refuse ?
Il va jouer très simplement sur deux types de cordes sensibles. Soit dans l’immédiat en provoquant une émotion désagréable : culpabilité, peur, tristesse, pitié, etc. Soit dans le futur en suggérant des conséquences très déplaisantes si nous continuer à refuser sa « proposition intéressante ».
La peur est une émotion fabuleuse pour inciter quelqu’un à faire quelque chose. Regardez les assureurs : vous risquez d’être ruiné à vie s’il vous arrive telle chose. Souscrivez donc de suite le contrat X ! Et comme vous avez peur de ce qui pourrait vous arriver (suggestion de conséquences très déplaisantes), vous souscrivez. Certains vendeurs usent de même : « Si vous n’achetez pas ce bien maintenant, demain, il ne sera plus disponible » et là aussi, vous achetez immédiatement de peur que…. Les politiques encore : « Si rien ne change, il y aura accroissement du chômage, de l’insécurité, de l’injustice, des impôts, etc, etc. Votez donc pour moi ! ». Et dans nos relations intimes : « Si tu ne fais pas cela, je te quitte ». Aïe !
Quand vous retrouvez face à une demande qui vous parait ressembler à une manipulation, sachez qu’il y a 2 indices à prendre en compte :
1/ Est-ce que je me sens redevable ? Si oui, cela me convient-il ? Si non, faites un recadrage. Application du principe de bienveillance pour vous.
2/ Est-ce que je me sens coupable ? C’est essentiel car la plupart du temps, dans nos relations personnelles, le sentiment de culpabilité est la 1ère arme de tout manipulateur.
L’arme secrète du manipulateur : la culpabilisation
Si on se sent coupable, on prend le risque de se retrouver dans la main du manipulateur qui va (au choix ou en mélange) :
– vous rappeler tout ce qu’il a fait pour vous.
– vous remettre en mémoire la qualité de votre relation.
– vous rappeler qu’il vous a fait la même demande il y a un an et que vous aviez déjà refusé !
– vous dire combien les « autres » (nommément ou pas) vont être déçus.
– vous exposer combien vous être égoïste, indifférent aux autres, lâche, méchant, ignorant, etc
– vous dire combien votre refus le rend perplexe, triste, déçu, ennuyé, catastrophé, etc
Parade : recadrez le plus vite possible : « Le problème, à l’instant, n’est pas de savoir si je suis ceci ou cela (ou « si notre relation est remise ou non en cause » ou « si tu as ou non fait cela pour moi ») mais de savoir si je vais ou non à cette soirée. Comme je te l’ai dit, ma réponse est non ».
De nouveau, il est important de ne pas tomber dans les deux extrêmes : ne jamais voir d’intention négative ou voir le mal partout.
La technique fétiche du manipulateur : le flou
Le manipulateur utilise beaucoup le flou car cela représente beaucoup d’intérêts pour lui. :
– il peut changer d’avis facilement. Comme il est flou, il va vous laisser interpréter ses propos et vous recadrer en prenant un air offusqué : « je n’ai jamais dis ça » et du coup, vous paraissez stupide. Ou encore : « Tu interprètes complètement mes propos » et vous voici coupable d’une erreur d’interprétation….
Le flou va souvent de pair avec le fait qu’il ne termine pas toujours ses phrases ou utilise des formulations compliquées ou des mots tellement généraux, abstraits ou ambigus qu’ils peuvent avoir plusieurs significations différentes. Avec le flou, il se laisse ainsi une marge de manœuvre. Vous supposiez qu’il fallait aller à droite et il vous reproche de ne pas avoir été à gauche (ou inversement)
– il peut se déresponsabiliser. En effet, grâce à ce flou, il ne s’engage pas et n’est jamais responsable. C’est toujours vous le fautif. Par exemple, « On devrait faire telle chose » mais sans précision quant à la date et plus tard, il vient vous reprocher votre inaction : « Quoi ?!!! Tu n’as rien fait ? »
– il se donne un pouvoir qu’il n’a pas en laissant croire que…. . Par exemple, il commence l’évocation d’un secret mais sans tout dire : « Je sais que X a fait quelque chose d’incorrect mais bon, je ne peux pas t’en dire plus, ça engage trop de personnes ». Se donner de l’importance et du pouvoir dans ses relations et connaissances lui est important, surtout s’il peut vous faire passer pour quelqu’un qui ne connait personne ou pas grand-chose : « Comment ? Tu ne connais pas Untel ou le produit xxx ? Mais tout le monde sait ça ! ». Il prend ainsi un ascendant sur vous, surtout si cela se passe devant témoins. Il n’hésitera pas, pour cela, à utiliser un vocabulaire très spécifique ou très technique, que vous ne maîtrisez pas, évidemment, pour que vous passiez pour un ignorant.
Pour accroitre son importance et sa mainmise sur vous, il laisse entendre qu’il connait beaucoup de choses ou des gens hauts placés et qu’il est donc lui-même une personne importante et/ou pouvant agir très fortement. Combien de manipulateurs ne connaissent pas « personnellement » tel homme d’affaires, tel artiste ou tel ministre !
Deux parades
Prenez le temps de comprendre ce que vous ressentez. Si on vous fait une proposition « géniale » et que vous ne vous sentez pas motivé ou ressentez comme un vague malaise, alors reprenez la technique de la temporisation en début d’article, souvent très salvatrice !. « Je termine ce que j’ai à faire et je reviens t’en parler »
Si vous sentez coupable de quelque chose et que cela vous empêche de dire « non », attention : Il se peut que ce soit une manœuvre de déstabilisation pour emporter votre « oui » malgré vous.
Parmi plusieurs parades, en voici deux que vous pouvez tester :
1/ La première est d’apprendre à dire un mot très bref mais l’un des plus difficile à prononcer: « non » et ce, à cause de l’émotion gouvernant cette difficulté : la peur (peur de blesser l’autre, de le mettre en colère, de paraître désagréable, etc). Il n’est pas utile de le dire durement. Etre assertif et être agressif ne sont pas des synonymes !
Vous n’avez pas à vous justifier et dites « non » lorsque l’engagement qui vous est demandé ne vous convient pas du tout. Il ne s’agit pas de devenir le médaillé olympique du « non »: Il s’agit de faire respecter votre personne, vos besoins, vos envies et ne pas être le jouet des envies d’un autre
2/ La deuxième consiste à sortir du domaine du flou pour entrer dans la précision et de la clarté. Vous ne pouvez répondre « non » que si vous êtes certain de bien comprendre ce qu’on vous demande ! Sinon, demandez des explications. Et de savoir également ce que vous voulez.
Comment sortir du flou ?
Si ses phrases vous paraissent ambigües et évasives, reformulez dans vos termes à vous et demandez une validation : « Ce que tu me dis, c’est bien cela ? »
Amenez-le à être précis : « Qu’est ce que tu veux dire exactement ? », « Qu’est ce que tu attends de moi précisément et concrètement ? ». Cers adverbes sont importants et voyez si la réponse donnée répond bien (ou pas tout à fait…) à votre demande. Vous pouvez ensuite reformuler et demander une validation.
Recadrez et obligez-le à répondre si vous sentez qu’il vous « promène » : « Ce que tu dis est sans doute intéressant et on verra ça plus tard. Mais ma question est : xxxxx et j’aimerais que tu y répondes maintenant ».
Et quoi d’autre ?
La manipulation est un sujet très vaste. Cet article ne peut avoir comme ambition d’en cerner chaque aspect mais d’alerter en incitant à se reconnecter ce que l’on ressent. Au cours ou à la fin d’un entretien, interrogez vous : comment je me sens ? Si jamais vous vous sentez coupable de quelque chose, soyez (très) vigilent !
Il existe de nombreux ouvrages sur la manipulation. Certains sont très bons, d’autres le sont un peu moins. Si vous souhaitez en savoir davantage, je vous en conseille deux en particulier
« Les manipulateurs sont parmi nous » de Isabelle Nazare-Aga – Ed. L’Homme, 2013 : Un très bon livre, très aisé à lire et qui donne une excellente description du processus de manipulation, offre des outils pour détecter les manipulateurs et pour y faire face.
« Échapper aux manipulateurs : Les solutions existent ! » de Christel Petitcollin – Ed. Guy Tredaniel, 2007 : Dans un style toujours agréable, Christel livre là Un excellent ouvrage qui apprend à reconnaître les manipulateurs en détaillant bien ce qu’ils sont ainsi que la manière dont ils s’y prennent pour faire naitre la culpabilité et pour mettre quelqu’un sous leur emprise sans que l’on ne s’en rende compte. De manière très utile, sont détaillés différents moyens pour se sortir de cette emprise.
Face aux manipulateurs, il importe de ne pas tomber dans la paranoïa et de savoir se faire respecter. Il y a va de l’harmonie de nos vies et de nos relations !
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