Il existe actuellement – comme cela existât autrefois – un affrontement entre les religions. Soyons plus précis : quelques affrontements entre certaines religions en certains endroits de la planète.
Il y a ceux qui ne croient à la véracité d’aucune et peuvent toutes les renvoyer dos à dos.
Ceux qui ont foi en une seule et tendent à considérer que les autres n’en sont pas.
Ceux qui ont foi aussi en une seule mais trouvent légitime que tout le monde ne partage pas la même croyance.
Ceux qui prêchent l’œcuménisme et peuvent voir en chacune une manière différente mais complémentaire d’aborder une même transcendance.
Et ceux qui n’estiment ni nécessaire ni condamnable la pratique d’une religion dès lors que la spiritualité s’exerce dans les actes du quotidien.
Beaucoup de visions différentes…. Sont-elles diamétralement opposées ou peuvent-elles être complémentaires ?
Des vérités relatives ?
Parmi toutes ces « catégories », des personnes estiment que la tolérance est essentielle, que la pratique de la paix et de la bienveillance inhérente à chaque religion est un élément ne pouvant être bafoué. Hélas, d’autres personnes plus obnubilées sans doute par la forme que par le fond, considèrent les rituels comme une donnée fondamentale et condamnent, parfois avec violence, toute personne ne partageant pas sa propre croyance.
Mais de quel Dieu parlons-nous ? Il y a 2 500 ans, le philosophe grec Xénophane, fustigeant l’anthropomorphisme dans la conception des dieux, avait déclaré que si les bœufs et les lions pouvaient peindre, les représentations des dieux seraient des bœufs et des lions. Chacun d’entre nous n’aurait-il pas de Dieu une conception et une représentation qui lui est tout à fait particulière et personnelle ?
Posons la question différemment : Dieu a-t-il besoin d’une religion pour être ? Ou bien, une religion a-t-elle besoin d’un Dieu pour exister ? Songeons ainsi au bouddhisme (mais on pourrait en dire autant du jaïnisme, du taoïsme et d’autres) qui se définissent comme des religions non théistes. Alors ? Une religion ne peut-elle de ce fait se définir que comme un mode spécifique de vénérer une transcendance et d’en appliquer les principes ?
Lorsque l’on estime que seule sa propre religion est vraie, c’est que l’on s’est forgé une croyance particulière (par soi-même ou en adoptant celle d’autres personnes qui nous l’ont inculquée, partagée voire imposée). Par « particulière », entendons : subjective et personnelle. Même si on tend à la considérer comme objective et universelle. Il en est de même pour ceux qui les réfutent toutes.
C’est le sens du célèbre aphorisme de Blaise Pascal « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » qu’il a reprit après Montaigne et d’autres et que d’autres encore reprendront. Il ne s’agit pas de remettre en cause sa propre croyance dès lors qu’elle nous nourrit et nous aide à œuvrer pour donner un supplément d’âme à nos actions. Il s’agit de considérer que l’autre, tout autre, a une vision du monde (et aussi des « arrières-mondes ») qui n’est pas nécessairement la notre. Le considérer et… l’admettre. Non partager cette autre vision mais accepter qu’elle puisse elle-aussi exister.
Une reliance
Chaque religion (théiste, évidemment !) a Son Dieu. On estime qu’il y aurait plus de 40 000 dieux actuellement vénérés dans le monde. Probablement est-il oublié dans ce « décompte » l’hindouisme qui comporterait 33 ou 330 millions de dieux, comme une manière d’exprimer qu’ils sont en nombre infini (ou peut-être davantage, en nombre indéfini !).
Il en ressort donc que tout adepte d’une religion devrait admettre que le Dieu de l’autre est tout aussi valable pour cet autre que le sien propre l’est pour lui. Les arguments de chacun sont au demeurant les mêmes ! Là où le bât blesse, c’est lorsque chaque partisan d’une religion déterminée considère que la sienne est la seule : la seule juste, la seule vraie et donc, la seule admissible. Dès lors, dans ce mode de pensée du « moi j’ai raison, les autres ont tort », il lui est impossible d’admettre qu’un autre Dieu ou une autre religion soit de même valeur, sinon il prend le risque de se renier ! C’est l’une des raisons parmi d’autres pour laquelle tant de morts ont été exécutés au nom de Dieu, tant de tortures, massacres, crimes et autres abominations perpétrés ad majorem Dei gloriam !
Il est souvent dit que le mot « religion » vient du latin « religare » qui a le sens de « relier » voire de « rejoindre ». On y voit généralement la relation de l’humain au divin. Relation insérée dans la verticalité. On y voit aussi la relation des humains les uns aux autres, sur le plan de l’affectif, de l’amour du prochain et même sur celui de la cohésion sociale et donc dans l’horizontalité.
Toutefois, l’étymologie est incertaine On devrait l’interprétation du « relier » à deux personnes : le théologien chrétien Tertullien et Lactance, un rhéteur romain du IIIème siècle de notre ère qui, dans son livre « Les Institutions divines» expose que le polythéisme est impossible à défendre et que l’on n’a d’autres choix que d’admettre les dogmes et la morale du christianisme.
Mais il semblerait qu’il y ait eu confusion entre le religo venant de religio et signifiant « avoir égard à quelque chose » et le religo venant de ligo et signifiant « lier ». Cette confusion n’est pas anodine.
Saint Augustin propose autre chose. Pour lui, il faut s’attacher à relegere signifiant « relire, reprendre » et trouver un sens à partir, non pas de non pas de ligare (lier) mais de legere (recueillir).
Il est intéressant d’ailleurs de noter qu’en chinois, le zōngjiào ou en japonais le shûkyô sont tous deux formés d’un premier mot signifiant le temple, la maison d’où vient l’esprit et d’un second mot signifiant l’enseignement. En simplifié, c’est la transmission d’un savoir au sein d’un groupe.
Si nous prenons le cas de l’Inde, « religion » se traduit par « dharma », terme polysémique puisque, désignant généralement le « devoir », on peut le traduire tout autant par « foi », « religion », « vertu », « nature propre » ou même « bonne action ».
Sémantiquement, le mot « religion » est donc très évolutif. Il évoque, au sens propre, le scrupule, la conscience ou l’engagement mais aussi, dans un sens dérivé, la crainte des dieux, les croyances et superstitions, les pratiques religieuses. Il a enfin un caractère sacré.
Vers une ouverture à l’autre
Et si l’un des aspects essentiels d’une religion était, non pas un ritualisme donné, mais une ouverture à l’autre, à tout autre ? Le rituel ne peut pas être une fin en soi. Il ne peut être qu’un moyen – parmi de multiples autres – pour faciliter cette ouverture. C’est probablement la confusion de l’objectif et du moyen qui conduit à tant d’intolérance et de violence. Trop de primauté donnée au rituel finit par occulter le fond essentiel, l’essence même de la croyance.
On a vu que, par étymologie et même s’il y a quelques hésitations, la religion devient ce qui relie l’homme à la divinité mais aussi à la société où il évolue. Peu à peu, au fur et à mesure de l’évolution de certaines civilisations, il en est qui ont opéré une séparation entre d’un côté le spécifiquement religieux et de l’autre, une laïcisation de certaines activités qui ressortent seulement de l’humain. Certaines vont même jusqu’à vouloir sacraliser la laïcité, réalisant une nouvelle forme de fusion entre le spirituel et le temporel….
Le « tout religieux » des débuts s’est grandement effacé mais perdure dans son influence sur la structuration des sociétés et les relations interpersonnelles.
La question qui demeure néanmoins : comment se fait-il que la religion soit ainsi définie et que certains s’en réclamant puissent commettre des atrocités ? La chrétienté a eut ses heures noires baignées de sang, de cadavres et d’hégémonies intolérantes ; on ne peut hélas le nier. Mais cela n’enlève pas non plus ses grandeurs, ses beautés et son humanisme vrai. Aujourd’hui, l’Islam prend, pour certains, le même chemin et quelques uns de ceux qui s’en réclament utilisent et instrumentalisent Dieu (ou « leur » Dieu) en en faisant le prétexte ultime et imparable pour justifier ce que l’être humain peut recéler de plus atroce au fond de lui.
Au-delà de toute référence à un dogme spécifique, comprenons que tout « fascisme spirituel » d’une religion donnée ne peut qu’exacerber celui des autres religions ainsi que celui de ceux qui les rejettent toutes. En outre, c’est là la négation la plus absolue des principes dont on se réclame car la reliance fait alors place au rejet et à l’exclusion. Le Dalaï Lama rappelait fort à propos : “Il n’importe pas qu’un être soit croyant ou non : il est plus important qu’il soit bon.”
Dès lors, il importe de développer l’esprit de tolérance et d’accepter que les croyances de l’autre ne sont ni supérieures ni inférieures mais simplement différentes et que toutes ces différences ne sont pas des obstacles à une véritable reliance mais des complémentarités. Cette acceptation semble si difficile qu’elle en devient un défi majeur à relever pour faire régner une harmonie.
Il existe mille manières de comprendre un Sens, d’y accéder et de le vivre. Que chacun puisse le vivre en parfaite concordance avec sa propre conscience mais aussi – et surtout – avec celle des autres qui l’entourent.
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