Prendre et conserver le pouvoir sur l’autre est une constante des manipulateurs. Leur ADN en fait. Certains arrivent insidieusement à vous déstabiliser lentement, surement et profondément. Nous allons situer cette réflexion dans le cadre de la vie personnelle et évoquer cette technique de l’isolement progressif pour garder le contrôle et s’assurer un pouvoir sur l’autre.
Le gentil manipulateur qui vous aide
Un manipulateur vous aborde de manière extrêmement sympathique. Forcément, il veut nouer une relation ! Evidence, certes, mais il importe de savoir qu’il n’y a nullement écrit sur son front : « Attention, je suis un pervers ! ». Au contraire, il est agréable et prévenant, veut votre bien-être, apprécie vos centres d’intérêt, etc. Bref, charmant ! Il vous redonne même confiance en vous : vous étiez seul(e), doutiez de connaitre une belle relation et en voici une qui prend forme.
La « lune de miel » dure quelques semaines, quelques mois et lentement, si lentement que l’on ne s’en rend pas compte, les choses évoluent. Cette douce et merveilleuse personne prend doucement mais surement l’ascendant dans la relation. Elle vous dénigre parfois un petit peu devant des amis et si vous vous en offusquez, vous reproche de ne pas avoir le sens de l’humour. Elle dénigre certaines de vos activités, vous disant que vous « valez mieux ». Elle répond de plus en plus souvent à votre place, comme si vous n’étiez pas capable d’avoir vos propres idées. Elle ne manque pas de vous souligner lourdement le service qu’elle vous a rendu et attend un merci reconnaissant. Elle impose peu à peu ses choix de sorties, ses préférences de distraction, ses ami(e)s, sa manière de vivre et de voir les choses, etc.
Votre autonomie s’amenuise mais c’est toujours pour votre bien, évidemment, et comme il arrive à cette personne d’être profondément sympathique et de vous faire un cadeau agréable, vous songez que vous avez tort d’avoir des doutes sur ses qualités. Vous vous en voulez d’ailleurs d’avoir pu croire que ce n’est pas une personne parfaite voulant vraiment votre bien !
Ca y est, le piège commence à produire ses effets ! Dans un article précédent sur cette thématique, je précisais que l’arme secrète du manipulateur, c’est la culpabilisation. Attention, il ne s’agit nullement de se méfier de tout le monde ! Mais de s’interroger lorsque la culpabilisation pointe son nez pour se demander, le plus objectivement possible (ce qui n’est pas toujours évident !) si les aides offertes sont réellement des aides.
Autrement dit, le manipulateur vous a-t-il aidé sans rien attendre en retour ? L’a-t-il fait alors que vous pouviez très bien vous débrouiller seul(e), histoire de vous maintenir en dépendance ? Ou de vous « obliger » à lui en être éternellement reconnaissant ? Lui arrive-t-il de vous rappeler qu’il vous a aidé, histoire également de vous rendre redevable et de demander ensuite quelque chose en retour, bien plus important ?
Il est important de faire preuve de lucidité quand on commence à se sentir coupable et/ou redevable et qu’en ressentant cela, on ne sent pas complètement à l’aise.
La stratégie de l’éloignement.
Le manipulateur dans un couple ne reconnaitra jamais qu’il a besoin d’assurer son pouvoir. Ce serait avouer une faille (dont parfois il n’est même pas conscient). Malgré les apparences, il est très peu sûr de lui, d’où sa jalousie vis à vis de tous ceux qui auraient de l’estime pour sa « proie » ; cette estime des autres lui enlève de son propre pouvoir. Vous devez lui « appartenir ».
C’est pourquoi il donne le change en passant pour quelqu’un de sociable et de convivial. Mais le besoin de contrôle est là, tenaillé par la peur que l’autre puisse être indépendant, avoir ses propres envies et idées, ne plus avoir nécessairement besoin de lui. C’est pour cela qu’il dénigre le travail que vous faites, votre manière de vivre, vos gouts, vos relations, des membres de votre famille parfois. Oh, ce dénigrement est souvent très subtil ! Il peut juste s’agir d’une dévalorisation « soft » dont le but est de faire naitre dans votre esprit un doute. Si vous êtes un peu désemparé, il revient vous consoler et vous aider en vous offrant une solution, c’est à dire Sa solution. Le piège se referme encore un peu.
Comment fait-il pour mettre en place cette dévalorisation « soft » ? Il peut vous suggérer lui-même un doute : « J’ai l’impression que…..(suivi de quelque chose de négatif) ». Mais au lieu de débattre et d’écouter vos opinions pour éventuellement reconnaitre qu’il s’est trompé, il va argumenter de telle manière que ce qu’il appelait son « impression » apparaisse petit à petit comme une certitude. Et il vous pousse à adopter sa certitude.
Il peut aussi intervenir de manière indirecte : « J’ai entendu dire que X…. » ou bien « X m’a dit que Y avait…. » ou encore « Il parait que Untel a…. » et chaque fois, la suite est négative. De la même manière, son discours est structuré pour que vous ayez un doute sur la personne nommée puis la certitude qu’il a raison. Et sans vérifier si ce qu’il affirme est vraiment vrai. C’est son point de vue que vous finissez par adopter.
Ces débats existent évidemment dans tous les couples. Mais là où le manipulateur est pervers, c’est lorsque vous vous rendez compte que vous voyez beaucoup moins X, que vous vous méfiez maintenant de Y ou que vous ne fréquentez plus du tout Z après avoir rompu, quelque tristesse que cela vous cause. Et à chaque fois, à l’égard de X, Y et Z, la stratégie a été quasiment la même. Le résultat est là : votre propre cercle de relations s’est amoindri et vous ne fréquentez plus que votre manipulateur, éventuellement ses amis et sa famille.
J’ai connu une manipulatrice qui était arrivé à faire naitre le doute chez un homme quant à ses propres enfants en bas âge. Cet homme s’était déjà bien éloigné de ses propres amis, il risquait à présent d’abandonner sa progéniture. Un parent peut ainsi déserter un foyer familial pour « l’amour de sa vie » et se retrouver à terme dans une véritable prison relationnelle.
Les illusions qui nous enferment dangereusement
Il est toujours difficile de reconnaitre et d’admettre que derrière la personne que l’on a aimé (et que l’on aime sans doute encore), se cache un manipulateur. C’est si difficile que les mêmes techniques qui ne servent à rien sont régulièrement utilisées. Sans entrer dans les détails, citons-en deux, aussi simples qu’inutiles :
La première : Refuser de le considérer comme un manipulateur, laisser faire ou lui trouver des excuses : « Il(elle) n’y peut rien, c’est son caractère », « Ce n’est pas de sa faute, il(elle) a connu des choses difficiles », « Il(elle) ne se rend pas compte qu’il me fait du mal ». « C’est vrai qu’il est dur mais il a aussi des bons côtés ». « Tu ne peux pas comprendre, c’est un écorché vif, il est sensible, etc ». A chaque excuse que vous « inventez », vous renforcez son pouvoir sur vous. Chaque fois que vous acceptez et banalisez quelque chose qui n’est pas acceptable, vous niez vos vrais besoins. Vous vous niez vous-même. Vous avalez un peu plus du poison de votre relation toxique
La deuxième : Croire qu’il (ou elle) « changera » ou que le temps (ou votre amour) arrangera les choses. C’est un grand classique qui augmente le pouvoir du manipulateur et votre perte progressive d’estime de vous. Quelquefois, le doute et la culpabilisation vont très loin : « Je ne suis pas capable de l’aimer comme il faut » qui se transforme en « Je ne vaux rien. Heureusement qu’il (ou elle) est là pour moi ». Peu importe la formulation, c’est comme un syndrome de Stockholm : la victime remercie son bourreau.
Parfois, on s’illusionne soi-même : « Je vais le sauver ! Je vais lui en faire prendre conscience et notre couple sera merveilleux ». Illusion totale qui, sous couvert de belles intentions, est en fait une contre-attaque : je vais reprendre le pouvoir ! Mais dans cette guerre de tranchée que vous avez auréolée d’une belle image « d’amour sans condition », vous serez perdant(e). Il y a en face de vous une mauvaise foi à toute épreuve, se drapant dans sa dignité et vous retournant le tout pour que vous vous sentiez à nouveau coupable. Comment faire preuve d’empathie vis-à vis de quelqu’un qui, consciemment ou pas, ne fait que vous faire régresser, en particulier dans votre estime de vous ?
A ce sujet, une histoire illustrant cette volonté de faire culpabiliser pour garder (ou reprendre) du pouvoir. Un homme, en proie à une manipulatrice intelligemment perverse, avait finit par sauver son existence en fuyant brutalement la relation. Plus de dix ans après, elle reprend contact. Ils se revoient dans un endroit neutre. Et très rapidement, elle lui dit combien sa fuite d’autrefois l’avait détruite, psychologiquement et physiquement, lui ayant fait naitre symptômes d’angoisse, dépression, perte de cheveux, insomnies, larmes et autres. Une fois de plus, le même mécanisme se mettait en place : il fallait que l’homme se sente coupable et présente des excuses. Il n’en a rien fait. Les « retrouvailles » se sont très rapidement achevées.
Comment sortir de ce cercle vicieux ?
Il n’y a pas 36 solutions : quitter la relation. C’est la seule chose à faire. Même si c’est douloureux, on souffrira beaucoup moins qu’en demeurant dans quelque chose qui dysfonctionne en permanence à notre propre détriment.
Partir est souvent difficile : l’autre essaye encore de vous rendre coupable, vous assure qu’il vous a compris, vous rappelle tous les beaux instants que vous avez vécus, parfois en pleurnichant ou en se présentant comme victime de votre égoïsme et de votre ingratitude avec le fameux « Après tout ce que j’ai fait pour toi » ! Il peut aussi vous menacer des sanctions diverses ou affirmer vouloir se suicider (à cause de vous, évidemment !). Tout cela s’appelle du chantage et c’est odieux. J’ai entendu parler d’un homme qui doit en être à son 5ème suicide (après 5 maitresses ayant du le fuir pour continuer d’exister) !
Certaines personnes quittent la relation toxique au bout de quelques mois, d’autres plus tard. J’en ai connu une qui n’est partie qu’au bout de …. sept ans, très esquintée psychologiquement mais étant depuis lors parvenue à se reconstruire.
La première chose à faire est une prise de conscience : est-ce je me sens coupable de quelque chose ? Suis-je vraiment épanoui(e) ? La relation me parait-elle équilibrée ? Mes connaissances très proches l’apprécient-elles ? Parler à une personne sûre pour y voir clair est salvateur. Soit vous avez dans votre entourage proche quelqu’un capable de vous entendre, de vous comprendre et de vous conseiller sainement et utilement, soit vous vous adressez à un professionnel pour vous accompagner dans cette démarche.
Parmi les très nombreux ouvrages sur cette question, je ne peux que recommander à nouveau « Échapper aux manipulateurs : Les solutions existent ! » de Christel Petitcollin (Ed. Guy Tredaniel, 2007) : facile à lire, concret et particulièrement utile, notamment quant aux différents moyens pour se sortir de cette emprise.
Fuyez les relations toxiques qui ne peuvent que vous esquinter ou vous détruire. Il y en a de si harmonieuses et épanouissantes à vivre ! Dirigez-vous vers elles pour (re)découvrir le bonheur du respect et de la bienveillance.
PS N’a été abordé ici que la relation de couple. Quitter une relation familiale (parent manipulateur par exemple) ou une relation professionnelle est particulier et sort de ce cadre.
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