Qu’y a-t-il dans la tête de ceux qui sont animés d’une volonté de tuer ? Ont-ils une motivation ? Sont-ils des fous ? Agissent-ils par impulsion ? Ou à la suite d’un raisonnement méthodique ?
Il est bien difficile de trouver une réponse adéquate et équilibrée à ces questions. Et pourtant, j’avais envie – besoin – de comprendre. Un acte négatif qui parait sans raison ajoute l’incompréhension à l’inacceptable.
Emotions et (dé)raison
Les faits peuvent être résumés en quelques mots. Vendredi 13 novembre 2015, dans la soirée : une poignée de terroristes se fait exploser, d’autres mitraillent à Paris. Bilan : presque 130 morts et plus de 350 blessés.
Trois émotions surgissent alors : peur, colère et tristesse, toutes ensemble ou une seulement. Peu importe l’ordre, chacun selon son ressenti.
Peur rétrospective : « Si j’avais été là à ce moment précis….. » Peur projective : « Où vont-ils attaquer prochainement ? ».
Colère : contre ces barbares, contre ceux qui les commandités, contre ceux qui partagent leurs convictions, contre nos dirigeants qui n’ont pas assurés notre protection en amont, contre des croyances religieuses qui servent de paravent à l’ignominie,…
Et tristesse : pour ceux qui sont morts, pour ceux qui sont atteints dans leur chair et dans leur cœur, pour leurs proches, pour ceux qui n’y sont pour rien mais risquent d’être la cible d’une vindicte générale, pour le chaos que l’Humanité rencontre. Pitié même pour ces barbares qui ont sombré dans la noirceur, dans les ténèbres, qui ont perdu leur âme, leur sens de l’humain.
Emotions mêlées, entremêlées et bousculées et pour les dompter, volonté de comprendre : que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a généré ce cauchemar ? Pouvait-on l’éviter ? Peut-on éviter les prochains ?
En un autre endroit de la planète, d’autres émotions sont apparues, celles de la joie, du sentiment du devoir accompli, d’un devoir nécessaire, utile, bienfaiteur. Cela, nous ne pouvons pas l’admettre car nous ne pouvons le comprendre. Ces barbares sont encore plus barbares que ce que l’on croyait ! Ils ne sont plus des humains. Leurs croyances mortifères est une honte inconcevable. Etc.
Comment comprendre ce qui apparait tellement incompréhensible ?
Généalogie d’une tragédie
Si les médias officiels donnent une certaine version, ceux qui sont indépendants ou situés à l’étranger en donnent d’autres. A toutes les comparer et recouper, une tendance se dessine et qui semble être la plus objective.
Si on résume très succinctement, il apparait que sous couvert de bonnes intentions, nombre de pays occidentaux ont imposé la démocratie à d’autres pays (notamment Afghanistan, Irak, Libye, Tchad, Syrie, etc). Attitude de celui qui SAIT ce qui est juste et bien et veut l’imposer à l’autre sans s’encombrer de ce que cet autre en pense. Au besoin, cela s’impose par la force, la brutalité, la violence et les arguments sont remplacés par des bombes.
Vouloir « sauver » l’autre en lui imposant des valeurs que l’on estime supérieures, cela s’appelle de la tyrannie.
Le faire avec des bombes qui tuent indistinctement militaires et civils en semant la mort et la terreur, cela s’appelle de la barbarie. Quelque soit le drapeau humanitaire que l’on brandit.
En outre, les intérêts financiers (principalement mainmise sur les gisements de pétrole) apparaissent comme les véritables motivations. Mais elles sont camouflées sous l’étendard de la démocratie.
Ce vendredi 13, face au carnage de cette dizaine de terroristes, il est proclamé, avec une intonation d’horreur et d’effroi : « Nous sommes en guerre ! ». Qu’en pensent ceux qui, depuis quelques années, comptent leurs morts et blessés par dizaines de milliers avec cette « démocratie « qu’on leur envoie exploser dans la figure ? Posons-nous la question : si nous étions à leur place, accepterions-nous que d’autres Etats se mêlent de nos affaires avec une telle violence ?
Et si j’étais….
L’empathie, c’est comprendre ce qu’autrui ressent et sa manière de voir une situation. J’ai essayé de me mettre en empathie avec ces « barbares ». Dieu, que cela est difficile tant que l’émotion est là !
Pratiquer l’accueil de l’autre dans la bienveillance, non au cas présent mais faire effort pour le comprendre. Pas pour l‘excuser ou l’absoudre, pas pour partager son point de vue mais juste pour comprendre ce point de vue…incompréhensible à première vue.
Je me suis imaginé syrien vivant en Syrie. J‘ai entre 20 et 30 ans et je vis dans des conflits sanglants depuis quelques années. Je n’ai pas eut une instruction suffisante pour savoir lire, analyser et argumenter. Ma maison a été détruite, mes proches sont morts ou handicapés à tout jamais par la faute d’une bombe qui ne devait détruire qu’une installation militaire. Je n’ai plus rien ; je sais que dans ces pays qui veulent me « libérer » (mais de quoi ???), les gens usent au quotidien de biens d’une telle valeur que jamais je ne pourrais les posséder, même au terme de ma vie.
Alors que faire ? Subir sans rien faire ? Découvrir parfois qu’un média étranger décrit mon pays et ma situation d’une manière telle que j’ai l’impression qu’il s’est trompé de pays ? Dans ces conditions cruelles et sanglantes qui ne durent pas un soir mais s’éternisent de mois en mois, quel avenir avoir, quel sens donner à l’existence ?
La religion dans laquelle j’ai toujours baigné parait seule pouvoir donner cette lueur que j’espère. Sur la base des enseignements que j’ai reçus, on me propose d’en avoir une autre compréhension. Qui me permettra, moi aussi, de dire ce qui est juste et vrai. Je l’entends tous les jours, tout le monde autour de moi partage la même idée, je finis par être convaincu que là et nulle part ailleurs est La Vérité.
Que faire cependant ? On me propose de servir ma religion. Oui, bien sûr, et comment ? En chassant ceux qui la fustigent, en allant détruire ceux qui détruisent mon pays, en vengeant ceux qui ont éliminés mes proches, en les convertissant à ce qui est juste et vrai. Et, grâce à cela, mon Dieu sera reconnaissant d’avoir participer à la victoire de La Vérité.
La suite, on la connait : je suis formé au maniement des armes et des explosifs et il m’est demandé d’aller détruire ces « barbares » de l’Occident. Tuer des innocents, des femmes, des enfants ? C’est ce que ces Occidentaux font depuis quelques années chez moi, régulièrement, sans état d’âme. Pourquoi en aurais-je ?
Des jeunes occidentaux s’engagent dans une armée pour venir combattre dans mon pays ? Je m’engage aussi dans une organisation pour aller combattre chez eux.
Ils tuent chez moi au nom d’un principe politique ? Je tuerai chez eux au nom de ma croyance religieuse.
Ils se réjouissent lorsque leurs avions ont pilonnés mon pays ? Mes camarades se réjouiront quand j’aurais exécuté ces barbares, mécréants de surcroit.
Ils ne comprennent pas mes motivations et leurs trouvent folles, meurtrières et barbares ? Je ne comprends pas non plus leurs motivations folles, meurtrières et barbares. La différence, c’est que moi, je le subis depuis longtemps et qu’à leurs 130 morts, je leur oppose quelques dizaines de milliers de chez moi. En fait, à préparer ces attentats à Paris, je suis parfaitement légitime !
Comprendre….
Je le disais plus haut : l’empathie, c’est comprendre ce qu’autrui ressent et sa manière de voir une situation. En racontant cette fiction, en m’imaginant syrien combattant dans cette organisation sanguinaire, j’en mesure toute l’horreur. Mais à la réflexion, est-ce vraiment délirant ? Ne sommes nous pas toujours le barbare de l’autre ?
Encore une fois, mon propos n’est pas de provoquer, d’excuser ou de justifier. Il est juste : puis-je comprendre les motivations de cet autre qui, de son point de vue, a autant de raisons « valables » de haïr mon comportement que j’en ai à haïr le sien ? Je peux trouver qu’il trahit ses convictions religieuses et qu’il est un parjure vis-à-vis du Dieu qu’il invoque. Il peut tout aussi bien trouver que je trahi mes convictions morales et que je suis est un parjure vis-à-vis du principe politique que j’invoque. Chacun, dans sa vision du monde, a ses raisons et sa « vérité ».
J’ai la chance de vivre dans un pays prospère et en paix. J’ai la chance d’avoir pu suivre des études, d’avoir eu des maitres qui m’ont appris à réfléchir, à argumenter, à envisager d’autres visions. J’ai la chance de connaitre ces conflits par le biais des médias et non de les subir dans ma chair.
Mathieu Ricard le soulignait récemment : « Avant d’être endoctrinés, tous ces jeunes ne sont pas nés en se disant: je vais tuer tout le monde autour de moi ! »
Cela est vrai mais lorsqu’en réaction à ces attentats, on envoie des avions commettre un bombardement à l’issue duquel près de la moitié des morts sont des enfants, j’ai de la peine. Oui, car ces enfants aussi ont un père et une mère qui à présent pleurent et qui, une fois leurs larmes séchées, vont éprouver une haine encore plus grande. Cette vengeance ne prépare-t-elle d’autres Vendredi 13 ? Gandhi déclarait : «En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface comme en profondeur.»
Je ne suis pas un expert militaire, en aucune manière. En revanche, je suis un citoyen qui a toute violence en horreur et qui s’alarme et s’attriste de ce que nous répondions à la violence par une autre violence.
Je suis un citoyen qui ne comprend pas que nous nous mêlions de ce qui se passe dans un autre pays alors que nous trouverions inadmissible que l’inverse se fasse.
Je suis un citoyen qui ne comprend pas que nous trouvions normal d’utiliser des armes pour imposer notre façon de voir les choses et anormal que les autres fassent de même à notre encontre.
Je ne dis pas qu’il ne faille pas arrêter l’expansion diabolique de Daesh ! Je m’interroge cependant : quelles autres voies avons-nous réellement explorées qui ne soient pas celle de la violence ? Et par pitié, que l’on n’aille pas m’opposer la formule stupide « On n’est pas au pays des Bisounours ! ».
Nous avons trop souvent l’habitude de juger et condamner l’autre et nous en restons là. Or, notre monde a besoin d’éthique et d’amour. « Conquérons le monde non avec des bombes et des fusils, mais par l’amour et la compréhension! » disait Mère Térésa.
Comprendre l’autre est-il le premier pas vers la bienveillance ?
Puissent tous les dirigeants du monde éprouver un tout petit peu de compassion et de bienveillance et regarder vers le ciel plutôt qu’au fond d’un puits de pétrole….
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