Au IVème siècle av. J.-C, les philosophes grecs se sont grandement interrogés sur cette question : comment être heureux ? Étrangement, en ce début du XXIème siècle, la même question réapparait avec force. Avons -nous, aujourd’hui, trouvé quelque chose de nouveau ? Revenons donc à cette sagesse antique dont nous avons finalement tant à apprendre.
La naissance d’une philosophie eudémonique
A la fin de l’indépendance d’Athènes, une vingtaine d’années après la mort d’Alexandre, Zénon de Cittium vers 301 av J.C. crée le stoïcisme aussi dénommé la Philosophie du Portique : il réunit ses premiers disciples sous un « portique » (stoa en grec), galerie couverte ayant des colonnes ou des arcades supportant le plafond (l’Epicurisme étant appelé la Philosophie du Jardin). Grâce à ses qualités intellectuelles et morales, Zénon développe avec succès sa pensée.
Le stoïcisme est une philosophie dite eudémonique (du mot grec « eudémonia » : le bonheur). En effet, le bonheur de l’individu en est le point central, il est placé comme but ultime de la vie. C’est d’ailleurs une constante des écoles philosophiques de l’époque : il s’agit de définir une manière de vivre heureux – un art de vivre pourrait-on dire. Pourquoi ? Parce que la morale est une réflexion qui cherche à déterminer la nature du bien. Le bien, c’est ce qui est fondamentalement désirable pour l’homme, par opposition au mal, qui est à rejeter. La morale a pour but de réaliser le bien ou le bonheur. Les deux finissent presque par se confondre.
Le début de la période hellénistique
Il n’est pas possible d’étudier un courant philosophique sans prendre en compte le contexte de sa naissance et de son développement, les influences réciproques laissant leurs empreintes.
Aussi, lorsque le monde est devenu instable et que la cité grecque se retrouve soumise à ses conquérants, la finalité politique telle que le prônaient certains philosophes comme Platon ou Aristote est foncièrement transformée. La République rêvée n’est plus de mise. Les Grecs se forgent alors une pensée dans laquelle ils peuvent trouver une manière de résister à tous ces bouleversements. Dans un premier temps, le glaive l’a emporté sur l’esprit et désormais, on doit s’appuyer sur ses propres forces ; il n’est plus possible d’être en attente des bienfaits de la vie politique et le principe instaurant des liens entre l’individu et la cité est maintenant un principe ancien.
En effet, à l’heure où nait le stoïcisme, la Grèce a perdu depuis peu son indépendance. Athènes, qui a connu son apogée en 427 av. J.C., sort ruinée de son conflit avec Sparte (Guerres du Péloponnèse.). La Grèce s’effondre ensuite face aux troupes de Philippe de Macédoine puis de celles de son fils, Alexandre le Grand, qui parachèvent son accaparement avant l’arrivée des légions romaines en 197 av. J. C. Cette période d’un siècle et demi, entre la fin de l’Empire macédonien avec la mort d’Alexandre en – 323 et l’arrivée de Rome, sera appelée période hellénistique.
Avant que Philippe de Macédoine n’impose sa victoire, Athènes a donc connu une sorte d’âge d’or que ce soit dans le théâtre, l’architecture, les sciences, la philosophie ou la démocratie. Des personnes illustres comme Eschyle, Sophocle, Périclès, Démocrite, Socrate ont marqué son histoire en profondeur. Il y a de quoi avoir l’impression d’un paradis perdu et d’une époque définitivement achevée. Les belles constructions d’un Platon ou d’un Aristote ont vécu. La recherche du bonheur individuel n’en est que plus cruciale. Les attaches civiques antérieures s’étant rompues, l’individu est renvoyé à sa liberté ; celle-ci lui commande de s’adapter à ce nouvel environnement et de se forger ses propres règles de vie.
Le monde grec va quand même en profiter pour enrichir sa pensée de toute la culture venue d’Orient et d’Egypte. Période délicate et complexe sur le plan idéologique mais certainement pas décadente, tout au contraire, la pensée hellénistique prenant peu à peu de plus en plus de vigueur. C’est d’ailleurs à cette époque que vont apparaitre trois grands systèmes philosophiques d’importance qui vont être prédominants : l’épicurisme, le stoïcisme et le scepticisme.
Aussi, le stoïcisme, s’il peut être vu comme une philosophie de temps de crise, n’est en aucune manière une philosophie de réconfort et de guérison mais bien plutôt l’affirmation d’une pensée forte et puissamment orientée vers un comment vivre et davantage encore, vers un bien vivre.
La quête du bonheur
Dans ce IVème siècle av. J.-C, le problème que se posent les grecs se résume donc à : comment être heureux ?
Cette question, à la différence de notre époque, est le centre de la philosophie. Aristote voit d’ailleurs le bonheur comme un mode de vie rationnel et vertueux. « Le bonheur est un principe ; c’est pour l’atteindre que nous accomplissons tous les autres actes » écrit-il. Très schématiquement, la réponse à cette question consiste en 2 points : servir sa cité en étant un citoyen courageux et en payant ses impôts et être fidèle aux dieux. Avoir le sentiment profond du devoir accompli et d’avoir agi dans le droit fil de la nature, c’est cela qui permet d’atteindre l’apatheia, c’est à dire l’absence de troubles, la non-souffrance.
Le stoïcisme pose à son tour la quête du bonheur individuel comme déterminante : il appartient à chacun de chercher et d’accomplir son salut, d’où son individualisme. Il déclare également que c’est l’univers qui constitue le cadre au sein duquel le bonheur peut s’insérer, d’où son cosmopolitisme : il touche à l’universalité, il concerne tout le monde. C’est ce que l’on retrouve souvent dans la philosophie hellénistique : la quête de l’harmonie entre soi et soi, entre soi et les dieux et entre soi et la cité.
Pour bien saisir la place de la Nature, il faut comprendre que tous les stoïciens s’accordent sur une idée majeure : l’homme n’est pas en face de la nature, ni au-dessus ou en-dessous d’elle, mais bien en son sein même. C’est là qu’il peut être heureux et non plus, comme précédemment, parmi les hommes de sa cité. Vivre conformément à la nature est un postulat essentiel du stoïcisme, que Zénon et Chrysippe posent, que d’autres reprennent ensuite et qu’Epictète va rappeler avec intensité, constamment et sous de multiples formes.
La liberté d’être heureux
Parmi un certain nombre de concepts qui émaillent la pensée d’Epictète, certains plus fondamentaux se dégagent. En voici quelques uns qui, aujourd’hui, méritent amplement d’être médités.
Vivre selon la nature. La vertu consiste à connaître la nature et à vivre en harmonie avec elle. La nature qui est visée n’est pas celle des écologistes mais l’univers, le monde, la réalité. Le monde est comme un grand organisme, une sorte de vivant éternel qui s’assimile à Dieu, lui-même ordonnateur du monde. Il existe donc une notion de destin à l’encontre duquel volonté et intelligence humaine sont impuissantes. Il en résulte qu’il n’y a pas de totale liberté d’action de l’homme (ce qui n’empêche nullement – loin de là ! – une liberté de pensée).
Cultiver sa liberté intérieure : la liberté de pensée. « Cherchons nos biens en nous-mêmes, autrement, nous ne les trouverons pas » dit Epictète. Le monde est donc un organisme où tout se tient et la vraie liberté consiste à agir selon l’ordre du monde. Il ne dépend pas de moi. En revanche, ce qui dépend de moi, c’est mon attitude devant cet ordre du monde.
Le sage n’est pas dans une acceptation passive et conformiste de l’ordre de la nature ; il y a chez lui un vouloir actif de cet ordre. Il est donc libre quand il est maître de sa volonté en décidant absolument de toutes ses pensées, opinions et représentations. Il veut ce qui est comme il est.
Au contraire, le fou veut ce qui ne dépend pas de lui ; il est fou quand il refuse cet ordre et se révolte contre lui en voulant changer ce qu’il n’est pas en son pouvoir de changer.
Le bonheur est dans la vertu : vivre conformément à la nature, c’est diriger notre vie conformément à la raison. Cela n’a rien à voir avec la satisfaction de nos tendances naturelles comme l’envie, la convoitise, l’ambition, la cupidité, la vanité ou l’égoïsme.
Le bonheur ne peut se trouver que dans la vertu, c’est-à-dire dans une relation juste aux choses, à telle enseigne que bien et vertu sont indissociables. La passion est une déraison car elle provient d’un désaccord avec la nature ; elle est une erreur de jugement.
Epictète ne demande pas de l’absolutisme car on entrerait soit dans la contrainte (opposé au bonheur) soit dans un idéalisme abstrait (indéfini et inatteignable). Il vise la dimension pratique. En conséquence, si l’on ne peut atteindre la pleine sagesse, il convient de s’en inspirer par des conduites dites convenables, c’est-à-dire le plus proche possible de ce qui est souhaité, le plus possible en harmonie avec le monde, la Nature.
Il est fort probable que les stoïciens, et Epictète notamment, avaient compris que la sagesse est un idéal accessible en théorie mais inaccessible concrètement. Aussi, il importe de s’en approcher le plus que l’on peut.
A défaut du parfait, on recherche le meilleur.
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