La gentillesse serait-elle tombée en désuétude ? En général, dire de quelqu’un qu’il est « gentil » n’est guère flatteur. Nous avons cependant besoin de douceur, de bienveillance, d’amabilité, d’attention, de solidarité. Un besoin si fort que près d’une vingtaine de pays en sont venus à créer la Journée de la Gentillesse.
Malgré sa tendance récurrente à l‘agressivité, l’homme est aussi une espèce empathique et un certain nombre de découvertes scientifiques accréditent ce point. Alors, sommes nous emplis d’une gentillesse que nous n’oserions pas toujours exprimer ?
Le pauvre gentil….
S’inspirant du mot français « gentilhomme » mais lui conférant un sens différent, les anglais ont défini le « gentleman » qui, à l’époque victorienne notamment, se distinguait par les traits suivants : n’être jamais ennuyeux ni mesquin, supportant stoïquement la souffrance, ne prêtant pas d’attention aux commérages et surtout, ne faisant jamais de tort à autrui.
Et pourtant, aujourd’hui, être gentil est souvent pris dans un sens péjoratif alors que cela décrit avant tout quelqu’un d’aimable et d’agréable. Les mots suivent leur histoire et à présent ce sont « bonté » et « bienveillance » qui ont gagné leurs lettres de noblesse. Avoir « bon cœur » est plutôt bien vu, à condition de … ne pas « se faire avoir » !
Dans une époque où il faut être compétitif, où il faut « performer » et devenir le meilleur pour réussir, il semble qu’être gentil ne soit pas un atout puisqu’il s’agit de se battre, d’être fort et de vaincre en oubliant toutefois que jamais les rapports domination/soumission ne produisent de résultats satisfaisants à terme. Ce sont la coopération et la collaboration qui permettent réellement de progresser dans un « faire ensemble » fondé sur la confiance et le respect mutuel.
C’est bien le fait d’avoir de la considération pour son prochain qui permet de réussir même si des esprits chagrins ou en souffrance estiment que c’est davantage un frein. Ce sont ces derniers qui ont transformé peu à peu le gentil en un être simplet qui se fait avoir. Et « se faire avoir » désigne celui qui a été abusé dans ses bons sentiments, celui qui a du se soumettre face à celui qui l’a dominé.
Qu’englobe la gentillesse ?
Ceci étant, si « gentil » a été esquinté, la « gentillesse » a plutôt pas mal résisté pour caractériser une manière d’être et de se comporter où l’attention aux autres, le souci d’autrui et de son bien-être sont en première ligne.
En tant que valeur ou vertu, elle participe à une harmonie dans les rapports sociaux, que ce soit en famille, au travail ou dans notre vie quotidienne. Elle s’oppose au dénigrement, à la moquerie, à l’agressivité, à la méchanceté. Elle demande une certaine hauteur de vue, elle requiert une qualité d’âme et de cœur qui appartient en fait à celui qui est psychiquement équilibré, à celui qui possède suffisamment de force pour savoir se faire respecter sans pour autant tout détruire sur son passage.
En effet, n’est pas toujours le plus fort celui qui le croit. « La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force. » disait Paul Valéry comme un écho ce qu’avait annoncé le prêtre philosophe Alphonse Gratry « La douceur, c’est la plénitude de la force. »
Alors, celui qui use de gentillesse est-il cet « imbécile heureux » dont beaucoup se moquent ou n’est-il pas plutôt celui qui sait manier force et courage avec finesse et intelligence ?
La gentillesse demande en effet des qualités, en particulier le sens de l’empathie et un souci d’éthique. Empathie car c’est s’ouvrir aux autres, à leurs émotions et à ce qu’ils ressentent pour mieux les comprendre et pour vivre des relations plus authentiques, plus justes et plus sereines. C’est écouter les besoins des autres tout en demeurant capable d’affirmer les siens propres. Cela demande de la volonté et de la perspicacité.
Souci d’éthique car c’est refuser de s’épuiser et gâcher sa vie dans un affrontement permanent, une crainte maladive d’une éventuelle cupidité ou sournoiserie de l’autre pour au contraire donner corps à ses propres valeurs philosophiques et/ou morales d’une Humanité au sein de laquelle on peut vivre en bonne intelligence. Cette éthique se nourrit d’authenticité, d’intégrité, d’honnêteté. L’intégrité, c’est la volonté d’être conforme à ce que l’on est réellement. Elle vient du mot latin « integritas » désignant la totalité, ce qui est intact, entier, ce à quoi rien ne manque. Cela demande du courage et un bon équilibre psychologique.
De ce point de vue, la gentillesse peut aussi être abordée comme un combat mais non dirigé contre les autres. Au contraire, il se mène avec les autres pour obtenir quelque chose de meilleur pour chacun. De ce point de vue également, la gentillesse ne se définit plus par rapport à son opposé qu’est la méchanceté mais décrit plutôt la capacité à dire qui on est et réside donc dans l’affirmation de soi. C’est ce qui permet de ne pas se couper de soi et de ne pas négliger nos ressentis et nos besoins.
La gentillesse comme voie vers son bonheur
Si la gentillesse, c’est être bon ou être un homme de bien au sens qui vient d’être définit, nous voyons bien qu’elle est finalement l’apanage des forts. Nous comprenons aussi que les faibles sont tout au contraire ceux qui usent toute leur énergie à rabaisser les autres pour essayer de s’élever ou croire s’élever alors que bien souvent, ils ne font que se débattre pour simplement garder la tête à peu près hors de l’eau. C’est le symptôme de celui qui, ne sachant pas nager, s’agrippe démesurément à son plus proche compagnon, quitte à ce qu’ils finissent par couler tous les deux. Seules les personnes à l’esprit pauvre et limité et au cœur tristement desséché supposent qu’il importe d’être cynique et égoïste pour réussir.
Celui qui sait user de la gentillesse n’est nullement le simplet ou l’être falot et peureux qui dirait oui à tout et à tous de peur de déplaire ou de recevoir une sanction. Celui qui agit ainsi craint de paraitre méchant, de ne pas être dans une norme, d’être rejeté d’un groupe ou redoute par-dessus tout d’avoir à affronter un quelconque conflit. Celui qui agit ainsi ne le fait pas par gentillesse mais à cause d’un manque important de confiance en lui, tellement important qu’il en vient à s’oublier.
Etre gentil désigne à l’inverse celui qui sait affirmer tranquillement qui il est ; il ne se laisse pas marcher sur les pieds car le respect de sa personne est une condition indispensable à son épanouissement, le sien propre et celui de l’autre. C’est ce que l’on appelle la bienveillance. Psychologiquement, c’est un état d’esprit positif et bénéfique pour soi et pour l’autre. D‘ailleurs, l’agressivité est la marque des personnes en souffrance et quand on regarde autour de soi, on s’aperçoit que les personnes heureuses et en harmonie avec elles-mêmes n’ont aucune trace d’agressivité. Soi-même, les jours où on est heureux, on est souriant, en accueil de ce qui est et des autres, de manière sereine et constructive. Chacun peut très facilement en faire la constatation.
Vivre en société des relations apaisées, respectueuses et créatrices implique de les vivre dans la bienveillance, la générosité et la confiance. Hors les rares cas où nous devons faire face à un pervers pathologique, c’est cela qui permet de développer l’altruisme, c’est cela qui empêche de se laisser parasiter toute son énergie dans des conflits alimentés par la peur, c’est cela qui aide à grandir, à s’épanouir et à cultiver le plaisir d’être soi – avec les autres. Nous trouvons là une des définitions du bonheur. Mark Twain avait cette jolie formule : « La gentillesse est le langage qu’un sourd peut entendre et qu’un aveugle peut voir ».
En définitive, et contrairement à ce que certains osent encore croire, il apparait qu’être gentil n’est pas une faiblesse ni une tendance malsaine à se soumettre à l’autre. C’est bien davantage une force, celle qui permet de s’ouvrir à autrui et d’établir avec nos semblables une saine reliance. Cela présente en outre un bienfait non négligeable : la gentillesse est contagieuse !
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