Selon certains, nous vivons une époque troublée, emplie de violences. Il en est même pour qui la bienveillance serait presqu’une faiblesse dans un « monde de brutes » où il faut se battre pour exister.
Pour d’autres, il est essentiel de ne pas occulter la multitude d’actes de bienveillance accomplis régulièrement par des centaines, des milliers, des millions d’individus de par le monde ; la violence ne serait pas si générale.
Mais quand on parle de violence, de quoi concrètement parle-t-on ?
Une définition incomplète
Venant du latin « vis » : la puissance, l’emploi de la force (qui peut être brutale), la violence serait le fait d’utiliser une force, physique ou psychologique, à l‘encontre d’une personne (ou d’un groupe de personnes) afin de la contraindre, de la dominer, de lui causer un préjudice (physique ou psychique). Elle implique donc une atteinte à son intégrité, engendrant une souffrance voire sa mort.
Mais il manque là au moins trois éléments :
- la notion d’intentionnalité
- l’extension ou pas à d’autres espèces vivantes que l’être humain ou bien à des objets,
- sa causalité, qui peut être directe ou indirecte.
Ainsi, y a-t-il violence si l’acte répréhensible a été commis par négligence ou erreur ou sans que l’on n’ait eut conscience de sa gravité ou de sa portée ? Ou s’il est commis contre un être vivant autre qu’humain ou encore un objet (vol ou destruction) ?
Y a-t-il violence si l’on n’est pas celui qui commet l’acte, quand bien même on en serait l’instigateur ? Par exemple : inciter au vol ou au viol sans être soi-même ni voleur ni violeur ou donner l’ordre de tuer au lieu de tuer soi-même de sa propre main.
Une typologie des violences
Nombreux sont ceux qui ne prennent en compte que la violence entre personnes avec une classification selon l’objet (violences conjugale, éducative, économique, sociale, etc) ou le mode d’action (violences verbale, sexuelle, physique, psychologique, etc) pour insister ensuite sur leurs causes et leurs conséquences. Sans oublier les débats délicats (et souvent passionnés ! ) quant à la légitimité de certaines violences telles que celle d’une armée devant défendre des personnes ou un territoire ou bien d’un régime politique
D’autres voix l’étendent au monde animal, domestique ou sauvage. D’autres enfin fustigent les catastrophes écologiques envers le monde végétal ou minéral (dégradation des sols par exemple) mais le mot « violence » est alors rarement employé bien qu’il puisse l’être en évoquant certains « déchainements » de la nature comme une tempête.
A quelques exceptions près, la violence est souvent perçue dans une dimension étroite et si la dénoncer est assez facile, la définir apparait plus complexe.
Ce qui participe de la non violence
Tout acte ou discours de non violence se fait à partir de ce qu’est la violence dont on vient de voir qu’elle n’est pas aisée à circonscrire.
Un éclairage intéressant apparait avec le concept d’ahimsā, présent dans l’ensemble des traditions indiennes (notamment hindouisme, bouddhisme, sikhisme et jaïnisme).
La violence devient le fait de causer un préjudice, de nuire ou de faire souffrir, intentionnellement ou pas, une créature quelconque. Cela peut aller jusqu’à sa mort. Elle est également tout ce qui est contraire à la sollicitude, à l’aide, à l’assistance, à la compassion.
La non violence qu’exprime ahimsā, selon le jaïnisme, consiste à ne faire de mal et à n’occasionner de nuisance à aucun être vivant, à avoir et entretenir une relation pacifique avec tout être vivant et y veiller avec attention.
Ici, « autrui » est à saisir dans un sens très extensif : êtres humains ainsi que tout le monde animal (des mammifères aux insectes) et végétal. Et, en considérant la Terre comme un être vivant, ce concept prend une dimension écologique très élargie.
Pratiquer la non violence, c’est être tout d’abord dans le respect de tout ce qui vit comme nous-mêmes désirons que soit respectée notre intégrité physique et psychique.
Quatre formes spécifiques de violence
Le jaïnisme présente une particularité très intéressante[1] : ayant la non violence comme centre de sa doctrine, il a réfléchi sur ce qu’est la violence pour aboutir à un classement pertinent en 4 catégories (accidentelle, professionnelle, défensive et intentionnelle) en pointant la question de l’intentionnalité et donc de la responsabilité de chacun. Abordons-les rapidement pour comprendre l’intérêt de ce classement.
1/ Violence accidentelle: celle que l’on ne peut éviter ou s’empêcher de commettre. (comme le simple fait de marcher détruit inévitablement des milliers d’animaux et de plantes). Elle concerne surtout le monde animal et végétal mais elle est accidentelle, inévitable et sans intention mauvaise.
2/ Violence professionnelle: c’est celle commise dans l’exercice de sa profession. C’est quasiment la notion bouddhiste de sammā-ājīva (les moyens d’existence justes)[2] : gagner sa vie de façon honorable revient à exercer une activité qui ne soit pas nuisible.
Globalement, il s’agit de s’abstenir de tout ce qui aurait des conséquences négatives pour qui que ce soit. C’est donc exercer ou choisir un travail qui ne nuise pas, délibérément, à d’autres êtres et ne soit pas une atteinte à l’environnement. L’intention importe : bienveillante ou malveillante ? Ahimsâ, c’est refuser de vivre aux dépens d’autrui, de sa vie ou de ses biens. Chacun d’entre nous peut alors s’interroger ainsi : ma profession – ou son exercice – entraine-t-elle une violence quelconque ? Si oui, que puis-je faire pour la diminuer ou la supprimer ?
3/ Violence défensive ou protectrice: celle que l’on ne peut éviter afin de défendre son intégrité ou celle d’une personne ou d’un groupe de personnes contre une (ou d’autres) personne(s) ou des animaux. On songe, bien évidemment, à l’auto-défense (se protéger soi) ou à la défense d’êtres qui nous sont chers (son conjoint, sa famille, etc) mais aussi à la puissance militaire ou policière (protéger les autres) qui peut s’inscrire dans un devoir légitime de défense : assurer la justice et la paix dans un groupe social.
Elle pose une question importante : une violence peut elle être légitime quand elle a pour finalité d’empêcher de manière certaine que ne soient commises d’autres violences encore plus grandes ?
Vouloir vivre une non-violence absolue peut devenir absurde car elle ne peut être que relative, c’est-à-dire reliée à la réalité. Par exemple, être témoin d’une agression physique ou verbale envers quelqu’un et demeurer entièrement passif ; la non violence perd son sens.
4/ Violence intentionnelle: celle qui (hors les aspects de la violence défensive) est la plus blâmable. Faite en conscience, en connaissant le mal qu’elle va procurer, elle vise toute atteinte à l’intégrité physique, psychique ou mentale et toute forme de mauvais traitements. Sont également visées toutes actions faisant souffrir ou mourir des animaux ou détruisant l’environnement.
Qu’une violence soit commise directement par soi-même ou qu’on ordonne ou demande à d’autres (ou qu’on les incite) de l’accomplir ou encore, ne rien faire pour l’empêcher lorsqu’on est en mesure de le faire et donc fermer les yeux, toutes ces manières là sont répréhensibles.
Ce qui esquinte notre quotidien
Ces notions ne sont pas théoriques mais tout au contraire particulièrement concrètes et c’est bien là leur intérêt.
Les violences intentionnelles sont les plus condamnables car voulues et accomplies en connaissant leurs conséquences négatives. En outre, elles concernent autant nos activités physiques (actes entrainant souffrances ou mort) que verbales (toutes paroles irrespectueuse ou blessantes) et mentales (toutes pensées négatives envers autrui).
Ainsi, une violence « banale » se retrouve dans nos paroles, depuis le manque d’écoute jusqu’aux mots qui blessent et vaut aussi pour nos messages écrits (mails, textos, commentaires sur les réseaux sociaux, etc). Pour savoir si on s’exprime avec bienveillance, demandons-nous : « aimerais-je que l’on me parle ainsi ou recevoir tel message ?». Si la réponse est négative, pourquoi alors le faire subir à d’autres personnes ?
On peut toujours exprimer un point de vue différent ou un mécontentement avec respect et courtoisie. L’invective, le mépris ou l’injure sont toujours constitutifs d’une violence intentionnelle et ne participent en rien à l’harmonie des relations ; ils sont l’ultime échec d’une discussion.
La violence intentionnelle s’exprime également dans les gestes. Hors les situations les plus criantes de violence (meurtre, torture, viol, etc.), songeons à toutes les « banalités » du quotidien qui ignorent les règles les plus basiques de la politesse, de la civilité ou de la courtoisie ; éléments certes élémentaires mais indispensables comme mise en action première de la bienveillance.
Ces situations ont un point commun : elles sont « banales ». Rencontrées plusieurs fois par jour, tous les jours, elles empêchent, par manque de respect, de vivre harmonieusement. En un mot, elles nuisent à l’autre.
La bienveillance, une éthique de vie
Ahimsā, la non-violence, inclue autant une dimension passive (ne pas faire de mal) qu’une dimension active (faire du bien). Elles peuvent s’exercer ensemble ou séparément et traduisent une véritable éthique de vie.
C’est en quelque sorte une abstention qui exige une action. C’est donc une bienveillance (disposition favorable envers autrui, volonté qui « veille à son bien » et à son bonheur) et une bienfaisance (action destinée à procurer du bien, à « faire le bien ).
Cela demande une prise de conscience : ce que je fais, ce que je dis, ce que je pense, tout cela contribue-t- il ou non à développer la non-violence, à rendre le monde plus paisible et à donner à mon entourage un environnement plus apaisé ?
Tout être, quel qu’il soit, a le même désir et le même droit que nous-mêmes à vouloir mener une vie paisible, sans souffrance et sans violence aucune. Le désir de vivre dans une bienveillance partagée pour que la lumière danse autour du monde.
[1] Pour une analyse plus détaillée, voir Xavier CORNETTE de SAINT CYR « Petit traité de Non Violence – à la lumière du jaïnisme », Ed. Jouvence, 2016.
[2] Voir Xavier CORNETTE de SAINT CYR « Les moyens d’existence justes » pages 123 et svt. in « Petit traité de Sagesse bouddhiste à l’usage des occidentaux », Ed. Jouvence, 2011.
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