Jacqueline Harpman est vraiment une grande dame de la littérature. Elle reprend ici l’histoire narrée par Eugène Fromentin et que j’avais lue il y a quelques décennies pour nous en donner avec brio une autre version. Tout ce que Dominique avait vécu et raconté est à présent abordé du point de vue de Julie, soeur de Madeleine.
L’histoire apparaît simple : Julie, sans comprendre pourquoi, est amoureuse de Dominique (qui ne la remarque même pas) lequel l’est de Madeleine qui ne s’en rend pas vraiment compte et épouse Alfred qui la traitera « comme une fille de ferme ». Tout l’art de Madame Harpman est de nous faire revisiter cette histoire avec un autre regard empli de finesse et de sensibilité.
Julie est terriblement attachante, observatrice sans concessions, rebelle en heurt constant avec les impératifs du « savoir-vivre » et nous livre des confidences que le « héros » n’a semble-t-il même pas perçu ni seulement imaginé. Dès le début, Julie nous prévient en déclarant que Dominique est « un homme aux idées étroites qui se croit large d’esprit car il a souffert ».
Ces analyses subtiles donnent une délicate profondeur à chaque personnage et les « seconds rôles » (notamment le père et le cousin) ont une présence réelle et indispensable.
Au-delà de la qualité narrative, Jacqueline Harpman témoigne d’une parfaite maîtrise de la syntaxe, offrant pour un pur bonheur de lecture, une écriture soignée et distinguée enchâssée dans le XIXème siècle avec quelques pointes de modernisme contemporain.
On se laisse emporter par cette histoire où l’on (re)découvre ce que furent les contraintes que s’imposât à elle-même une certaine société à une époque donnée et ce culte de la pureté et de la fidélité comme vertus cardinales jusqu’à en arriver à une hypocrisie malsaine. Julie ajoute, parlant de sa soeur et de son amant putatif : « Il y a eu ce moment terrible où elle a senti qu’elle succombait : le sot aurait du la prendre par la taille, la jeter sur ses épaules et partir avec elle, au lieu de quoi, il n’a pris que son chapeau, ses gants et la porte. Elle ne s’en est jamais remise ».
Tout est dit là, dans ces mondanités et apparences trompeuses qui servent de transfuges aux souffrances et solitudes de ces êtres en quête d’un idéal amoureux et ne font que l’effleurer, de loin.
Si vous êtes adeptes de la « vraie » littérature, (désolé pour cette expression galvaudée !) ne vous privez surtout pas de ces pages hautement délectables. Elles sont délicieuses, tout simplement.
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