Existe-t-il un rapport entre lecture et intelligence ? Notre évolution intellectuelle ou émotionnelle se fait-elle grâce à ce genre d’apprentissage ? La question a été posée et, forcément, les réponses divergent selon que l’on est lecteur … ou pas.
De quoi s’agit-il ?
On pourrait affiner en précisant quel type de lecture est visé. On pourrait aussi avancer que la « critique de la raison pure » de Kant développe davantage nos qualités cognitives que des mangas. Mais à chacun ses préférences.
Il faudrait au préalable définir ce qu’est l’intelligence. Et même de quelle intelligence il s’agit : celle de notre esprit, de notre cœur ou de notre âme ? Vaste débat ! Parle-t-on de l’intelligence livresque ? Universitaire ? D’une intelligence pratique ou théorique ? De celle de la vie ? Du cœur ?
On pourrait également aborder la question sous un angle différent : si la lecture est un bon vecteur pour accroitre ses connaissances, y a-t-il alors un lien entre culture et intelligence ?
Pour simplifier, prenons l’option que l’intelligence regroupe l’ensemble de nos facultés mentales permettant de connaitre, de comprendre et d’établir des liens, notamment entre des faits, des notions ou des concepts. Elle regroupe ainsi une capacité de traitement de l’information (analyse, mise en œuvre et utilisation). Elle permet donc de s’organiser au mieux dans un environnement donné. Certes, d’aucuns jugeront cette définition un peu sommaire, voire restrictive. Cela est vrai. Retenons là pour débuter cet article.
Quel lecteur sommes-nous ?
Pour demeurer tout aussi schématique, on pourrait ensuite établir la classification suivante :
Les personnes qui ne lisent pas : pour des raisons qui leur sont propres, elles n’aiment pas lire. Il est de fait que le plaisir est un moteur déterminant des actions de l’être humain. Et donc, si on n’aime pas, on ne fait pas. Ces personnes là considèrent très souvent que la lecture est une perte de temps. Et qui génère même de l’ennui, oubliant (ou ignorant) ce qu’avait dit Fénelon : « L’ennui, qui dévore les autres hommes au milieu même des délices, est inconnu à ceux qui savent s’occuper par quelque lecture. Heureux ceux qui aiment à lire ».
Certaines de ces personnes estiment que ce n’est pas « la vraie vie ». D’ailleurs, elles aiment citer, parfois nommément, des individus illettrés mais possédant une véritable « intelligence de la vie » : l’aspect pratique ou relationnel, voire spirituel est alors évoqué. Et cependant, Descartes nous disait élégamment que « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés ».
Ensuite, nous trouvons les personnes mono-lectures : elles ont cette particularité d’être focalisées sur un sujet spécifique. Cela peut être tout aussi bien l’étude des civilisations perdues que le rôle des anges dans l’univers ou l’architecture urbaine dans la France du Moyen-âge. Peu importe le domaine, ces personnes ont une focalisation quasi-exclusive sur un sujet donné et il est parfois bien difficile de leur faire lire autre chose. Il arrive qu’il soit tout aussi difficile de poursuivre une conversation approfondie sur un autre sujet, soit par qu’elles manquent de connaissance diversifiée, soit qu’elles manifestent un manque d’intérêt pour ce qui ne ressort pas de leur domaine privilégié (ou les deux).
Et enfin, il y a les personnes qui lisent de tout ou un peu de tout et majoritairement des ouvrages permettant d’acquérir de nouvelles connaissances. Leur curiosité et leur plaisir d’apprendre, de découvrir et de s’enrichir les incite à aborder divers sujets. Elles peuvent même développer une excellente expertise sur certains d’entre eux.
On se définit donc en quelque sorte selon le type de lecture que l’on a. François Mauriac allait plus loin encore : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es, il est vrai mais je te connaitrai mieux si tu me dis ce que tu relis ». Il est exact que se replonger dans ce que l’on a aimé, comme pour le redécouvrir et le savourer encore une fois détermine bien ce qui nous intéresse, nous satisfait, nous passionne et constitue quelque chose que nous considérons comme particulièrement important, voire essentiel à notre évolution et à notre bonheur.
Etre plus intelligent émotionnellement ?
Quelques études ont été réalisées sur les conséquences de la lecture. Elles demeurent rares et ne reçoivent pas toujours le label de la rigueur scientifique.
Il semblerait toutefois que lire améliore les connexions à l’intérieur du cerveau dès lors qu’il s’agit d’une lecture de qualité. Le souci est bien de définir ce que recouvre une telle appréciation subjective. Fort probablement s’agit-il de toute lecture demandant au lecteur un effort cérébral. Un ouvrage technique, scientifique ou philosophique par exemple répond à une telle définition mais il est des romans policiers dont l’imbrication des éléments demande un effort particulier pour « décortiquer » l’énigme et … trouver le coupable !
Dans ces types d’ouvrages, il existe en effet un effort de mémoire à réaliser puis un effort de connexion entre les diverses parties que l’on a mémorisé pour en faire un tout ayant sa cohérence. Cela nécessite enfin un effort de concentration et plus celui-ci est régulièrement exercé, plus nous acquérons de facilité en ce domaine. La faculté de concentration présente un grand nombre d’avantages dans différents domaines.
D’autres études ont également montré que notre intelligence émotionnelle peut être mise en action et ce, principalement avec des ouvrages de fiction. En effet, on entre dans le monde décrit par le romancier et si celui-ci dispose d’un réel talent, il arrive – pour peu que l’histoire nous captive – que nous entrions dans la vie des personnages et leur intimité, que nous nous mettions même à leur place et parvenions à nous attacher à eux et à ressentir ce qu’ils ressentent. On actualise ce qui est irréel, on rend réel émotionnellement ce qui n’est en fait que fiction ; nous vivons avec ces personnes une part de leur existence, nous faisons comme si elles existaient à tel point que certains romans, non seulement nous font oublier tout ce qui est autour de nous ; nous sommes alors captivés, comme captés au sein des pages que nos yeux parcourent. En outre, nous pouvons vivre un véritable mimétisme émotionnel tant nous sommes avec ces personnes, tant nous vivons leur histoire « pour de vrai ».
Faut-il en conclure alors que nous devenons plus intelligent émotionnellement ? Cela se peut. En tout cas, nous sommes nécessairement plus à même de saisir avec un surcroît de finesse certaines composantes de l’être humain. Son âme peut-être, son cœur sans doute….
S’enrichir mutuellement
Pour ma part, je pense que cette intelligence se développe davantage lorsque nous échangeons ensuite avec d’autres lecteurs et que nous confrontons nos points de vue. Si ceux-ci ne sont pas parfaitement identiques, il devient passionnant d’activer notre intelligence d’une part pour trouver une argumentation solide et cohérente et d’autre part pour entendre un aspect autre. De cette confrontation émerge quelque chose d’enrichi.
Enfin, il est évident que la lecture accroit notre culture et le livre est un outil merveilleux pour avoir accès à la pensée de quelqu’un d’autre. Songeons simplement qu’une personne, que nous ne pourrions rencontrer, a pris le temps de réfléchir en profondeur sur un sujet donné et, grâce au livre, nous pouvons alors profiter de toute cette réflexion. C’est là une fabuleuse définition de ce qu’est le partage ! Ce simple fait me parait tellement important, pour notre propre réflexion et notre propre évolution, voire notre enrichissement personnel (au-delà même du caractère « évasion » ou « délassement » de la lecture) que je ne parviens pas à comprendre comment certains estiment la lecture ennuyeuse ou inutile.
Cela tient sans doute au fait que nous sommes 7 milliards sur terre et qu’il existe 7 milliards manières différentes d’envisager le monde !
Alors, que répondre à la question initiale de savoir si lire rend plus intelligent ? Il est évident que cet acte accroît nos capacités et participe à un élargissement de notre champ de connaissances et de notre vision tout en nous procurant du plaisir. Ce n’est pas si mal ! Quittons-nous alors sur cette belle phrase de Jack London, emplie de promesses et de richesses : « Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l’horizon ».
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