Il est beau de prôner l’Amour sans condition aucune ! Avec un grand A. Désintéressé ; aucun reproche, aucune attente. Idéal magnifique pour s’épanouir.
Mais une fois que c’est dit, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment le vit-on ? Peut-on même le vivre ?
Illusion ou réalité ?
Mettons d’abord de côté l’Amour inconditionnel pour tous les êtres humains, souvent valable tant que l’Humanité demeure une notion abstraite Voyons plutôt du côté du couple.
On en entend parler, beaucoup, souvent. Pour certains, il est le seul à vivre, le reste n’étant que poussières, illusions, erreurs et souffrances inutiles.
C’est aussi une promesse : grâce à lui – et seulement grâce à lui –l’amour aurait pleinement du sens et serait l’indice tangible d’une spiritualité « authentique » : si on ne le pratique pas, c’est que l’on n’est pas accomplit. De là à ressentir une honte quelconque ou une vague culpabilité, il n’y a qu’un pas…
Mais est-il un mirage ? Une quête jamais assouvie ? Car on n’entend guère de personne déclarer tout simplement : « Moi, ça fait cinq ans que je vis chaque jour l’Amour inconditionnel ».
Alors ? Est-il une réalité ou l’illusion que lui-même dénonce ?
L’amour sans condition, c’est quoi ?
Si je dis : « Je t’aime si tu es ceci ou si tu fais cela », l’amour repose sur une condition. On a vite fait d’inverser la proposition : « Si tu n’es pas ceci ou si tu ne fais pas cela, alors je ne t’aime pas ». Présenté de cette manière, l’amour avec condition n’est pas de l’amour et se ramène juste à … une condition. Plus subtil : « Je t’aime mais je voudrais que tu fasses ceci ». Le « mais » est gênant, introduisant une sacrée ambigüité….
En général, on aime une personne pour ce que l’on trouve de positif et que l’on apprécie chez elle : beauté, intelligence, sensibilité, sensualité, culture, force, finesse, etc. Dans certains cas, c’est presqu’agir comme un comptable : si ce que je considère positif l’emporte sur ce que je considère moins positif ou même négatif, je reste dans la relation.
Horreur ! Agissant ainsi, on n’aimerait pas l’autre entièrement, totalement. On n’aimerait pas ses défauts et pire, on donnerait de l’amour en cherchant à en recevoir ! Trop de contrôle, trop peu d’absolu, ce ne serait plus de l’amour.
Pour certains « fondamentalistes », on doit aimer chez l’autre même ses défauts. La plupart du temps, on les accepte ou on les supporte, car le positif global l’emporte. Mais on doit aussi aimer l’autre même s’il est insupportable ; au nom du principe de non contrôle et de non possession, on doit même accepter qu’il puisse tromper la relation, la fausser, l’esquinter. Un peu violent, non ? Même d’un tempérament non jaloux, on attend un minimum de fidélité et d’intégrité ! Ou alors, c’est une sorte de cohabitation, sans doute fort sympathique mais répond-elle encore au mot « amour » ? Cette façon de voir est très idéaliste, très irréelle et bien souvent, assez immature. Et on mélange plein de choses.
Indifférence, soumission ou épanouissement ?
Le principe de « l’acceptation inconditionnelle », inspiré des travaux de Carl Rogers, a pour cadre la relation thérapeutique et est non symétrique car il concerne le positionnement du thérapeute, non du patient.
Certains s’en sont emparés pour l’appliquer à toutes relations (ou oubliant la non symétrie) dont bien sur, la relation amoureuse. Car ce serait là l’indice d’une relation idéale et la seule preuve d’un amour vrai, profond, sincère, spirituel et authentique. Pourquoi pas en théorie – quoique… – mais en pratique ?
Quelle attitude si merveilleusement « compréhensive » : tout accepter de l’autre et s’y obliger, même s’il fait « n’importe quoi », ne rien en attendre, ne porter aucune appréciation et n’émettre aucune contestation… Que certains vivent ainsi de manière heureuse, parfait et tant mieux. Mais imposer ce mode comme le seul vrai et le seul à vivre, voilà qui est malhonnête et non respectueux car c’est considérer sa vision du monde comme seule valable.
Cet amour inconditionnel, à force d’être absolu et conceptualisé, est irréaliste : nous ne devrions avoir aucune attente et faire disparaitre nos désirs et besoins. Or, peut-on vivre sans les satisfaire, ni même les exprimer ? Cela peut signer le début de la nécrose de la relation…
C’est une chose que de s’harmoniser à l’autre, de l’accepter dans ce qu’il est et ne pas vouloir être en contrôle permanent mais c’en est une tout autre que de ne plus avoir aucune attente et de devoir accepter (ou subir) n’importe quel comportement, surtout s’ils sont contraires à nos propres besoins. Amour ? Indifférence ? Ou soumission ?
Laisser sa liberté d’être à l’autre ne peut se ramener à l’expression de comportements individualisés à l’excès. Si on appelle cela de l’amour, quel prix faut-il en payer et en quoi cela nous épanouit-il ?
Présenté comme magique, l’amour inconditionnel finit par se déshumaniser et ne donne plus du tout envie d’être rencontré ni vécu. Quel paradoxe !
Vivre un amour harmonieux
L’autre que l’on aime est un être de chair et de sang et non une entité abstraite. L’amour, c’est une rencontre entre le cœur, le corps et l’âme ; ce n’est pas l’application d’un principe.
C’est avoir ensemble les yeux tournés vers le même ciel tout en ayant les pieds ancrés dans la même terre. Il se nourrit de ce que l’on donne et de ce que l’on reçoit. A ne jamais rien recevoir, quelque chose finit par s’abimer.
Bien sur, on ne donne pas toujours dans le seul but de recevoir ; le don se fait pour le plaisir d’offrir du plaisir à l’autre. Comme le dit Jacques Salomé : « Dans un couple, peut-être que l’important n’est pas de vouloir rendre l’autre heureux, c’est de se rendre heureux et d’offrir ce bonheur à l’autre. »
Mais donne-t-on vraiment sans aucune attente ? N’espère-t-on pas un sourire, une joie, un regard, un geste, un mot ou une satisfaction personnelle ? Une caresse est-elle totalement désintéressée, juste pour faire plaisir à l’autre ou parce qu’on en retire aussi du plaisir, même sans en avoir conscience ? En quoi cela serait-il blâmable dès lors que chacun en retire satisfaction ? L’amour se vit dans la joie, nonobstant les romantiques qui nous ont fait croire qu’il se vit dans la douleur.
L’amour donne parce qu’il a envie de donner et quand il donne, il reçoit. C’est cela qui le nourrit et le fait vivre et évoluer.
Jacques de Bourbon Busset l’a fort bien exprimé : « Aimer, c’est trouver, grâce à un autre, sa vérité et aider cet autre à trouver la sienne. C’est créer une complicité passionnée ».
On peut dès lors s’interroger :
Pourquoi faudrait-il ne juger aucun comportement de l’autre et ne jamais lui faire le moindre reproche ?
Pourquoi un jugement serait-il nécessairement injurieux, dégradant ou dévalorisant ?
En quoi serait-ce ne pas aimer l’autre que de lui dire ce qui ne nous convient pas ?
Qui a décidé que cela ne doit pas être et au nom de quoi ?
D’ailleurs, comment connaitre ce qui déplaît à l’autre s’il ne nous en fait jamais part ? Croire que chaque membre d’un couple doit être devin aboutit à une impasse.
Poussons le raisonnement plus loin. Imposer un amour inconditionnel, ne serait-ce pas l’attitude de celui qui sait ce qu’il faut faire ou l’orgueil de montrer un cœur ouvert et une âme si belle ? Ou presque une sorte de fascisme spirituel en interdisant à l’autre (ou en s’interdisant à soi-même) d’exprimer ses vrais besoins ? Ces questions méritent d’être posées.
L’amour : une offrande qui se partage
Aimer, ce n’est pas capituler et se transformer en serpillière ni accepter sans broncher toute situation abusive. Ça, ce n’est pas de l’amour, c’est du renoncement, de la soumission.
Aimer ne s’oppose pas à l’expression de ses besoins ou à la dénonciation d’un comportement jugé inacceptable. Quand nous aimons nos enfants, même inconditionnellement, nous leur traçons cependant des limites qui leur permettent d’ailleurs de se structurer. Les laisser faire tout ce qu’ils veulent serait du non-amour.
Quittons les majuscules et les idéaux inaccessibles et désincarnés, fuyons ceux qui imposent leur vérité pour décider de vivre la sienne propre dans le respect de l’autre. Tâchons de vivre réellement notre spiritualité en évitant les pièges de l’égo spirituel.
Vivons l’amour qui apporte un surcroît de vie et de bonheur à chacun, dans un délicieux mélange de quiétude et de gratitude.
Et vive l’épanouissement de chacun, non l’application d’une règle quelconque ! Avant de suivre aveuglément de tels préceptes (si tant est qu’on puisse les suivre), n’oublions pas la recommandation d’Alfred Adler : «Suis toujours ton cœur, mais prends ton cerveau avec toi».
Publier une Réponse
Votre adresse email reste confidentielle.