Sommes-nous capables de vivre avec ce que nous avons ? Savons-nous nous en satisfaire et en retirer du plaisir ? Comment résister au consumérisme qui, paradoxalement, crée des insatisfactions et revendications en tous genres alors qu’il est censé nous apporter satisfaction ? A cet égard, la pensée d’Epicure est aujourd’hui d’une parfaite actualité et les différents mouvements qui sont apparus et se développent en sont une belle illustration.
Revenir à de l’essentiel
L’étude de sa philosophie d’Epicure montre qu’il a prôné la modération pour atteindre le bonheur, l’exact opposé donc de l’image de jouisseur que ses détracteurs ont fait perdurer par-delà les siècles.
En effet, le plaisir épicurien est une recherche d’équilibre, un plaisir du juste milieu. Il n’est pas question de « nous contenter de peu en toute occasion, mais de savoir nous contenter de peu si nous n’avons pas beaucoup ». On n’est jamais en manque quand on se satisfait de peu et, inversement : « Rien n’est suffisant pour celui pour qui le suffisant est peu » (Sentences vaticanes, 68). S’il existe une volonté de suffisance à soi, c’est pour pouvoir assouvir ses besoins plus aisément et pour assurer son indépendance. Notre propre liberté est ainsi plus facile à vivre que si nous dépendons de quelque chose ou de quelqu’un en permanence.
L’épicurisme propose certes de se centrer sur les désirs naturels et nécessaires, mais il n’en fait pas un absolu exclusif de tout autre plaisir. En revanche, il faut se tenir à l’écart des plaisirs vains car… ils sont vains. Les condamnations régulières de la société de consommation en sont la parfaite illustration. Cette dernière entraîne une autre consommation tout aussi importante, celle du divertissement au sens où l’entendait Blaise Pascal : une dispersion et une fuite de soi où l’on se retrouve condamné à passer continuellement d’un plaisir à un autre, comme si l’on ne pouvait trouver le bonheur en soi et que l’on devait le rechercher dehors, en dehors de soi. Epicure trouve aujourd’hui un nouvel écho au travers de concepts qui ont émergé récemment.
Dans une interview, (« Le Comptoir », 29 novembre 2017), Pierre Rabhi déclarait « Je crois plutôt à la sobriété et je souhaite que cette sobriété devienne notre devenir commun. Je crois en la puissance de la modération, et je suis persuadé qu’il est possible d’organiser la société autour de l’idée de modération face à cet avoir et à ce pouvoir permanent »
De la modération avant toute chose
Parmi ces mouvements qui visent à consommer moins pour préserver l’équilibre global de la planète, songeons à la décroissance, élaborée dans les années 1970 et estimant que la croissance économique considérée comme objectif et augmentée d’un productivisme incessant et d’une industrialisation démesurée finissent par procurer plus d’inconvénients que de bienfaits : chômage important, aliénation au travail, stress croissant, sans compter les impacts négatifs sur les écosystèmes qui, à terme, nous affectent négativement. Nous pouvons aisément le vérifier en bien des situations. L’axiome de base est : « On ne peut plus croître dans un monde fini ». Le combat à mener est celui dirigé contre l’idéologie du jetable. Il n’est pas question d’aborder ici toutes les composantes de ce concept, mais de remarquer que s’il influe sur l’économique et le politique, il interfère également sur nos propres manières d’être et d’agir. C’est reprendre la phrase de Gandhi : « Il faut vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre. »
Cela a entraîné la mise en exergue de la simplicité volontaire par laquelle nous décidons de nous-mêmes de réduire notre consommation, non seulement pour en éviter les effets délétères sur l’environnement, mais aussi pour améliorer notre qualité de vie et nous centrer sur ce que nous considérons comme essentiel. En témoignent les mouvements de chasse au superflu, de ce qui est en trop, comme une excroissance nous éloignant de l’essentiel avec la volonté de faire prédominer le qualitatif sur le quantitatif. L’idée est de cesser de vouloir combler du vide avec des achats compulsifs, des accumulations d’objets et un non-contrôle des déchets. Il est question de distinguer l’envie du besoin : la première est éphémère et superficielle, le second répond à une nécessité. Les distinctions faites par Epicure permettent de saisir aisément cette distinction. Ce qui ressort de l’envie donne un plaisir immédiat mais qui ne dure pas et paradoxalement, finit par nous encombrer. C’est ainsi que nos caves ou greniers sont emplis d’objet que nous avons achetés un jour et qui aujourd’hui ne servent strictement à rien.
À titre d’exemple « d’extension » des principes épicuriens, notons l’émergence de la notion d’économie circulaire qui, pour rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter), a pour objectif de produire des biens et des services de manière durable, pour limiter à la fois la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets.
Ainsi, le concept de sobriété heureuse, mis en exergue par Pierre Rabhi, préconise un mode de vie visant à la satisfaction, d’une part, de nos besoins primordiaux (se loger dignement, se nourrir sainement, vivre en bonne santé) et, d’autre part, d’une aspiration simple au bonheur, au repos et à l’échange social. C’est de cette manière qu’un bonheur réel et durable s’instaure.
Dans une mouvance identique a été mis à l’honneur l’art du désencombrement : ceux qui le pratiquent décident ainsi de ne garder dans leur environnement que ce qui est essentiel pour vivre. Ils y gagnent un moyen de vivre de manière plus harmonieuse et naturelle avec plus de bien-être et moins de stress et, en même temps, favorisent le don, l’échange, les solutions écologiques pour recycler, etc.
De même, et bien qu’inspirée des philosophies orientales et plus encore d’un mode de vie zen du Japon, la promotion d’un art de la simplicité dans tous nos domaines de vie est aussi une déclinaison des principes épicuriens. C’est apprendre à s’entourer de ce qui nous est essentiel et à se libérer des contraintes d’un consumérisme stressant et très souvent frustrant. On pourrait encore y ajouter le mouvement dit du slow life.
Des idées à revisiter
Le point commun de toutes ces tendances est un (re)centrage sur ce qui est considéré comme essentiel pour soi. S’y ajoute – et le point n’est pas négligeable – un effet positif sur son environnement. Il apparaît ainsi que, dans différents domaines, avec des échelles et des configurations nouvelles, est pratiqué au xxie siècle ce que préconisait Épicure quand il invitait à bien discerner le nécessaire du superflu, et à se tourner vers la simplicité et l’autosuffisance.
Ce philosophe a vécu au IVème siècle avant notre ère. Son propos était finalement simple : il voulait le bonheur de tous. Il n’a hélas cessé de faire l’objet de malentendus. Certains ont même confondus sa philosophie du contentement avec une philosophie du renoncement, ce qui n’a rien à voir et témoigne d’une grande incompréhension, si ce n’est de la malhonnêteté. Il est cependant heureux de constater que ses principes sont aujourd’hui mis en œuvre par de plus en plus de personnes, parfois sans même savoir qu’elles appliquent ce qui fut préconisé il y a 2500 ans. Si le contexte a quelque peu changé, les idées demeurent identiques car elles fondent finalement une part importante de ce qui fait le bonheur de l’homme.
Comme nous cherchons tous à vivre le plaisir et à éviter le déplaisir, identifions nos désirs et mesurons-en les effets pour choisir la voie du juste milieu entre le trop et le pas assez. Pour jouir de la vie, il importe de distinguer en tous domaines ce qui nous est essentiel du superflu pour en user sans jamais en abuser. Nous trouvons ainsi l’harmonie bienheureuse entre ce que nous désirons et ce que nous réalisons.
Aux plaisirs minimalistes que certains ont reproché à Épicure, nous glissons vers des plaisirs essentialistes avec en toile de fond la recherche du bonheur et, comme point d’arrivée, la joie de vivre. Le Jardin dans lequel il vivait n’a pas fini d’être accueillant !
Pour en savoir davantage et découvrir les principes fondamentaux de la thèse épicurienne afin de les décliner dans sa vie quotidienne, voir Xavier Cornette de Saint Cyr « La joie de vivre selon Epicure », Ed. Jouvence, 2018
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