Il y a quelques temps, je me suis arrêté sur une de ces « paroles de sagesse » dont sont friands les réseaux sociaux car celle-ci était étonnante. Elle disait très simplement, comme une nécessité pour être réellement dans la « vraie » sagesse : «Être dans l’acceptation même de ceux qui ne respectent rien ».
J’ai été très étonné par les réactions de nombre de personnes qui approuvaient entièrement, sans objection aucune, considérant même que cela évite de laisser entrer du négatif dans nos vies ou nos relations.
Nos valeurs comme fondement
Et cependant, si de prime abord c’est une belle parole, est-elle pour autant concrètement réalisable ? Le quotidien nous en donne des contre-exemples permanents. En outre, elle n’est pas si simple à comprendre : accepter ceux qui ne respectent rien signifie-t-il les supporter ? Laisser faire ? Est-ce une attitude passive ? Bref, ça mérite débat ! Et je me suis étonné de tant d’approbations sans réserve et semble-t-il, sans beaucoup de réflexions.
C’est quoi « ne rien respecter » ? Mes propres valeurs ? Version subjective sans doute mais si on ne les respecte pas, vais-je rester zen ? Une valeur, c’est bien ce que nous considérons comme un essentiel guidant nos choix de vie, c’est ce qui nous fait considérer que la direction que l’on prend est la bonne pour nous, comme une fondation qui soutient toutes nos expériences et donne une conscience et du sens à notre vie. D’ailleurs, le meilleur moyen pour vous mettre vraiment en colère, c’est de bafouer votre valeur essentielle. Rien de tel pour vous faire sortir de vos gonds !
Il peut s’agir également des valeurs du groupe, la société par exemple, qui permettent une vie en commun globalement décente et satisfaisante. Un accord s’est opéré sur ce qui est considéré comme ne pouvant être transgressé car permettant une vie ensemble harmonieuse dans le partage de principes généralement approuvés et vécus par chacun. Chaque société, chaque culture a ses propres valeurs et il est aisé de remarquer que ces valeurs diffèrent dans l’espace. Si nous pouvions voyager dans le temps, nous remarquerions aussi qu’une même société n’a pas toujours eut les mêmes valeurs selon l’époque envisagée.
Ces valeurs fondent donc la cohérence du groupe. Par conséquent, si on ne les respecte pas, il y a risque que ce soit la fin du consensus social (toujours fragile) par la faute de quelques uns.
Des principes moraux mis à l’épreuve
J’ai axé la citation initiale sur les valeurs car dans sa formulation, « ceux qui ne respectent rien », il me semble bien que c’est ce à quoi nous avons affaire. Le verbe employé n’est pas « partager », « vouloir », « accepter », « permettre » mais bien « respecter ». Et s’il est une chose particulièrement nécessaire à toute organisation sociale, c’est bien le respect ne serait-ce que des règles, des usages, des coutumes et des lois en vigueur ; chaque membre de cette organisation s’engage à s’y conformer et à les respecter. Cela est si vrai que ceux qui y dérogent peuvent être contraints par la force à suivre ces règles ou peuvent être exclus de l’organisation. Respecter les membres du groupe et respecter les valeurs fondatrices du groupe en deviennent les signes d’appartenance. Si le groupe est une nation, ce respect conditionne alors la citoyenneté.
L’acceptation entraine le fait de consentir, d’admettre, d’autoriser, d’approuver, de permettre. « Etre dans l’acceptation même de ceux qui ne respectent rien » peut ainsi vouloir dire : admettre et permettre (voire approuver !) ceux qui vont à l’encontre des normes du groupe et mettent donc en péril sa cohérence ou même sa pérennité. Ou ceux qui vont à l’encontre de mes propres valeurs et mettent alors en péril mon équilibre. Les réactions des commentateurs de la citation plaçaient celle-ci non pas sur la question des normes du groupe mais des normes personnelles. La citation pourrait alors prendre ce sens : je permets à certains de ne pas me respecter, de faire fi de ce qui m’est essentiel. Est-ce acceptable ?
Illustrons cela. A tous ceux qui trouvent cette phrase très belle, signe de sagesse, imaginons le scénario suivant, digne du film « Orange mécanique » : quelqu’un entre chez vous après avoir détruit votre voiture et labourer votre beau jardin. Il vandalise ensuite votre maison, égorge votre chien, torture votre conjoint et viole l’un de vos enfants. Assurément, ce quelqu’un ne respecte rien, ni les biens, ni les animaux, ni les personnes. Et ce serait beau que d’être dans l’acceptation de cela ? Ce serait de la sagesse ? Je fais plus qu’en douter.
Il n’y a pas de principe moral qui soit universel et absolu. Si cela était, de tels principes seraient présents dans l’esprit, la conduite, le cœur de chaque homme, ce qui n’est pas le cas. Ainsi, le respect de la vie qui est commun aux traditions et religions n’empêche nullement des crimes et massacres quotidiens. En revanche, il en existe qui nous appartiennent en propre et celui qui les bafoue attente à ce qui nous est essentiel ou, tout moins, à ce qui caractérise ou conditionne notre vie et notre manière de vivre.
La citation en question, qui se veut apparaitre comme un principe de sagesse, est en définitive une ineptie qui va à l’encontre du respect du vivant. Ce genre de citation à l’emporte pièce, qui semble aimer le maniement des oxymores, est en réalité très piégeante (si ce n’est manipulatrice) car elle se pare des habits d’une sagesse supérieure et n’en est qu’un très vague ersatz ou même une négation ; elle en arriverait à faire naitre une culpabilité chez ceux qui la remettrait en question. L‘exemple que j’ai donné ci-dessus suffit à lui seul à en montrer les limites.
Ce n’est pas rappeler le fameux « Etre tolérant même avec ceux qui sont intolérants », ce à quoi le philosophe Karl Popper donne une réponse qui se suffit : « Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende pas la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. »
La sagesse comme harmonie.
La sagesse, ce n’est pas jouer avec des oppositions de contraires comme accepter l’inacceptable, tolérer l’intolérable, ou accepter ceux qui ne respectent rien. A ce jeu malsain, on pourrait tout aussi bien demander d’aimer la haine ! On l’inverse.
La sagesse, c’est de référer à une éthique en rapport avec une conscience de soi et des autres et c’est faire prédominer une harmonie. C‘est une juste connaissance des choses, un idéal supérieur de vie corrélée à une doctrine (morale, religieuse ou philosophique). Pour Héraclite, c’est connaître le logos, donc la raison de ce qui est et de même, pour Lao Tseu, c’est la connaissance d’une réalité transcendante. Pour les stoïciens et aussi pour les épicuriens, c’est savoir maitriser ses désirs (ce que l’on retrouve également dans le jaïnisme et le bouddhisme par exemple). Pour Aristote, c’est un savoir-vivre. En fait, à reprendre ce qu’ont dit les grands Maîtres, les penseurs, les philosophes, on retrouve peu ou prou les mêmes notions.
Lao-Tseu disait que « connaitre les autres, c’est sagesse. Se connaitre soi-même, c’est sagesse supérieure ». Voilà des propos qui auraient plu à Socrate ! Au demeurant, chacun sait que le mot « philosophie » signifie « amour de la sagesse ». L’amour est un sentiment du cœur.
Tout cela, on le voit bien, n’a strictement rien à voir avec « l’acceptation de ceux qui ne respectent rien » ! Ce qui compte avant tout, c’est l’harmonie et où se situe-t-elle le mieux ailleurs que dans la bienveillance ?
Publier une Réponse
Votre adresse email reste confidentielle.