Depuis Descartes, nous nous croyons rationalistes. Nous pensons d’ailleurs que notre « raison raisonnante » peut décoder en toute objectivité.
Et pourtant, combien notre cerveau nous manipule ! Nous ne nous en rendons pas compte tellement c’est subtil et prenons pour réalité ce qui n’est qu’une …divagation de notre esprit !
Voici trois phénomènes qui influent sur notre perception de monde en nous laissant croire que nous voyons juste.
La corrélation illusoire
La corrélation illusoire (ou corrélation trompeuse) consiste à voir (ou percevoir) entre deux évènements une corrélation qui n’existe pas ou qui est très faible. Nous établissons alors un faux lien de causalité.
Dans la vie courante, nous l’expérimentons régulièrement, souvent avec agacement. Par exemple, en voiture, il suffit que vous soyez pressés pour que les autres automobilistes se mettent tout à coup à rouler lentement ou que les feus passent systématiquement au rouge. Ou bien qu’il se mette à pleuvoir chaque fois que vous avez arrosé votre jardin. Peut être considérez-vous comme vrai que votre file d’attente au supermarché est toujours ralentie par une personne ayant oublié de peser ses légumes ou même que vous fassiez toujours le mauvais choix puisque la file d’à côté avance toujours plus vite (idem pour les péages d’autoroute). Murphy et sa fameuse loi de la tartine beurrée en est une belle illustration !
Nous bâtissons alors une théorie naïve : il existe une relation directe entre deux évènements. Notre certitude de la réalité de cette « théorie » nous amène à en constater fréquemment la justesse et….la réalité puisque, sans nous en rendre compte, nous nous focalisons sur les cas confirmant notre théorie et nous oublions ceux qui l’infirment ! D’ailleurs, notre cerveau à une étrange tendance à exagérer la fréquence des liens entre ces événements
Pourquoi établir de telles relations? Parce que nous avons besoin de trouver un sens à ce qui se passe pour le rendre rationnel. Peu importe d’ailleurs un contre-argument fondé sur des statistiques (donc rationnel) car nous demeurons focalisés sur le nombre de fois où la « théorie » s’est appliquée. Celle-ci devient donc la règle dont nous vérifions régulièrement la justesse!
Un grand nombre de croyances et dictons populaires sont issus de ces corrélations illusoires. Par exemple, les suicides augmentant les nuits de pleine lune ou le caractère d’une personne selon son origine ethnique ou astrologique ou autre. Beaucoup de superstitions en sont des manifestations, même celles (ou surtout celles) que nous créons nous-mêmes : « Quand je mets ce pull rouge, il m’arrive toujours un problème ». De telles interprétations, dont la logique est indécise, présentent l’avantage d’être confortable car nous avons une explication « rationnelle ». Du coup, nous réfutons ceux qui nous disent qu’on exagère : « D’ailleurs, la dernière fois que j’ai mis ce pull rouge, ma voiture a été emboutie ». Dans certains cas, il se pourrait bien que nous créions – inconsciemment, bien sûr ! – un évènement quelconque afin de donner plus de corps à notre théorie, d’où une conclusion sans appel : « Je te l’avais bien dit, ce pull rouge m’attire toujours des ennuis ! »
Certains adeptes de « mysticisme » adorent cela : ils voient des signes partout, dans le ciel, dans l’univers, etc. et assènent ans broncher une causalité souvent très surprenante.
Nous préférons souvent les fausses croyances à pas de croyance du tout et aimons bien les « explications » qui les confirment et les renforcent.
L’effet Forer
L’effet Forer » (parfois effet « Barnum ») du nom d’un psychologue qui soumis en 1948 ses étudiants à un test de personnalité : il remit à chacun une analyse « personnalisée » mais qui, sans aucunement utiliser les résultats du test, se contentait de reproduire quelques phrases types d’horoscopes. « Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. (…) Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage, etc. ».Rien que du banal mais bien agencé ; chacun s’est senti concerné.
Sans que cela ne soit dit, chaque étudiant avait reçut exactement la même description. Chacun fut cependant convaincu de la finesse et de la justesse de l’analyse, persuadé qu’elle s’appliquait à lui seul. D’ailleurs, lorsque Forer demanda d’en évaluer l’exactitude sur une échelle de 1 à 5, la moyenne des notes fut de 4,26 ! Reconduite, l’expérience donna des résultats identiques.
L’effet Forer a mis en évidence une de nos tendances : considérer qu’une description de personnalité, bien que rédigée en termes vagues, flous et universels parait s’appliquer spécifiquement à nous-mêmes.
Cela s’appuie d’abord sur la reconnaissance de l‘autorité et de la compétence de l’évaluateur. Ensuite, il faut et il suffit que l’analyse contienne majoritairement des éléments positifs ou flatteurs. La présence d’un élément inexact ou désagréable renforce même la crédibilité du tout, d’autant plus que nous avons tendance à nous concentrer sur ce qui nous convient. En outre, plus nous attribuons un statut élevé à l’évaluateur, plus nous acceptons un trait qui nous est désavantageux.
En gros, nous abolissons notre esprit critique et parvenons à développer notre capacité à accepter des interprétations sur nous-mêmes à partir d’éléments flous et vaguement (in)cohérents. Le plus étonnant, c’est que nous leur trouvons du sens !
C’est ce qui fait le succès de l’astrologie, la cartomancie, la numérologie, etc, sans oublier bien évidemment la séduction et encore plus….la politique !
La paréidolie
Enfin, un effet psychologique très puissant avec un drôle de nom : la paréidolie. Elle s’explique par son étymologie grecque : para- « à côté de », et eidôlon, venant d’eidos, « apparence, forme ».
C’est une sorte d’illusion d’optique : d’une forme imprécise et vague, nous faisons ressortir quelque chose de précis et d’identifiable, très souvent une forme humaine ou animale. Cela fut même un jeu quand, enfant, nous recherchions dans les nuages la forme d’un animal et le trouvions ! Nous en avons d’innombrables exemples dans les rochers et montagnes, dans les arbres et autres éléments de la nature. Les « visages » de la Lune ou de Mars sont ainsi très connus. Cela arrive aussi avec des objets usuels comme par exemple la prise murale électrique suggérant un visage souriant à la manière d’un smiley et ce, jusqu’à avec la divination par lecture dans des feuilles de thé, du marc de café ou autres.
Le fait est que chacun peut voir une chose différente. Le plus souvent, c’est un visage et la culture de la personne, ses croyances, en particulier religieuses et superstitieuses ainsi que ce qu’elle attend (que ce soit une crainte ou une espérance) a un impact fort sur ce qu’elle va voir.
Le fameux test de Rorschach illustre cette interprétation faite à partir des propres représentations mentales du sujet pour obtenir des informations sur son état psychologique. Une étonnante illustration est donnée également par le tableau « La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne » de Léonard de Vinci dans lequel Freud découvrit l’image d’un vautour et bâtit alors son explication de l’homosexualité de Vinci. Nous pouvons aller plus loin encore avec l’impression d’entendre des messages cachés en écoutant des paroles d’une chanson à l’envers (paréidolie auditive). Certains y découvrent même des « messages sataniques ».
Encore plus surprenant quand la paréidolie visuelle a un thème religieux. C’est ainsi que sont apparues des visages de la Vierge Marie ou de Jésus sur des nuages, des vitres sales, des murs et voire sur… des toasts ou des crêpes ! Un toast sur lequel aurait été perçue une image de la Vierge Marie fut même vendu 28 000 dollars. Non, non, ce n’était pas au Moyen-âge mais …en 2004 !
Plus proche, nous trouvons « L’ange du 11 septembre », pièce métallique exposée dans le musée mémorial à Ground Zero et qui, dans sa partie haute, laisserait apparaitre un visage passablement fantomatique et inquiétant. Au demeurant, lors de ces attentats du 11 septembre, certains avaient bien vu le visage de Satan dans une colonne de fumée !
C’est dire si l’effet psychologique des paréidolie est puissant, trompant notre cerveau pour donner un sens à ce qu’il voit alors qu’il n’y en a pas nécessairement, voire pas du tout. Ce besoin vient de notre évolution puisque, pour assurer notre survie, notre cerveau s’est habitué à structurer constamment son environnement : ami ou ennemi ? Proie ou prédateur ?
Nous avons ainsi développé une tendance à assimiler des perceptions nouvelles à celles que nous connaissons déjà et que nous avons répertoriées. Pour mieux identifier ce qui est nouveau, nous le rapprochons de ce que nous connaissons pour le faire entrer dans une catégorie bien identifiée.
C’est souvent utile mais parfois, nous nous trompons totalement ! Mais encore une fois, cela nous rassure et élimine nos peurs et surtout, cela donne du sens et ça, c’est infiniment plus confortable que d’être confronté à l’inconnu, voire au chaos.
Pour clore, citons une paréidolie visuelle redoutable pour les écrivains : mal repérer les fautes dans un texte, surtout si on en est l’auteur. En effet, notre cerveau, au lieu de lire chaque lettre d’un mot, « voit » le mot qu’il attend et rectifie de lui-même.
Nous découvrons combien nos propres attentes altèrent notre perception. Être objectif, que cela est difficile! Ou… impossible ?
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